En 2006, la rentrée TV de France 2 n’aura pas été couronnée de beaucoup de succès. Certes, c’est l’année où ils auront vu le lancement de Tout le monde veut prendre sa place, qui (pour mon plus grand malheur…) s’installera durablement sur la chaîne ; mais à côté de ça, ils auront également connu un certain nombre de déprogrammations prématurées.
Parmi celles-ci, un jeu d’access prime-time nommé Qui est le bluffeur ?, qui est l’adaptation d’un concept outre-Atlantique s’appelant Dirty Rotten Cheater. Heureusement que France 2 n’en a pas fait une traduction littérale pour le titre, parce qu’entendre Jean-Michel Zecca nous souhaiter la « bienvenue sur le plateau du Sale Tricheur Pourri », ça n’aurait pas été très vendeur.
Mais même avec un titre français plus recherché, cette émission n’aura tenu que deux mois, et aura été déprogrammée faute d’audiences suffisantes. Mais était-ce mérité ? … pour ma part, globalement, non, même si on aurait pu faire un peu mieux.
Les règles
Avant de commencer, les six candidats ouvrent leurs pupitres un à un, et découvrent leur rôle via un écran dissimulé dans ceux-ci. L’un d’entre eux va découvrir sur cet écran qu’il est le bluffeur ; autrement dit, il pourra avoir accès aux différentes réponses possibles pour les questions qui vont être posées.
Pour chaque manche, une question est posée, avec une liste de 8 réponses possibles, citées par un panel de 100 personnes. Le but des candidats sera de citer, chacun leur tour, une réponse, en espérant qu’elle soit présente dans la liste.
Mais les réponses ne valent pas toutes la même somme : en effet, la réponse la plus citée ne rapporte que 500 €, la deuxième la plus citée en rapporte 600, la troisième 700 ; bref, moins la réponse est citée, plus elle rapporte d’argent. La septième réponse rapporte d’ailleurs 2 000 €, et la huitième 3 000 € ! Les candidats auront donc intérêt à trouver les réponses les moins citées pour gagner le plus d’argent possible.
Les réponses les moins citées sont d’ailleurs assez souvent plutôt saugrenues. Pas étonnant qu’elles rapportent aussi cher, mais peuvent soulever des doutes auprès de la sincérité des candidats…
Et parmi eux, le bluffeur a l’intégralité des réponses possibles à sa disposition. Il peut donc aisément citer la réponse à 3 000 euros… en revanche, il ne faut pas non plus lever les soupçons. Car à l’issue de chaque manche, les candidats doivent éliminer celui qu’ils pensent être le bluffeur. Et le fait de citer des réponses auxquelles personne n’aurait pensé pourra paraître suspect, donc il devra utiliser de son atout avec parcimonie, afin de ne pas se faire démasquer…
Les candidats délibèrent, avant de passer à un vote façon Maillon faible. A l’issue de celui-ci, le candidat qui obtient le plus de voix est éliminé ; puis il révèle s’il est le bluffeur ou non. Si c’était effectivement le bluffeur, la manche suivante démarrera alors par une nouvelle session d’ouvertures d’écrans, afin de désigner un nouveau bluffeur. Mais si les candidats ont éliminé un innocent, leur cagnotte est alors divisée par deux !
En outre, s’il y a une égalité parmi les votes, c’est alors le maillon fort le bluffeur qui va décider de celui qui va être éliminé, via une mise en scène qui lui permettra de préserver son identité.
Trois manches sont basées sur ce principe.
C’est mal parti pour Christophe et Virginie.
La quatrième manche joue sur le même principe, mais cette fois-ci, deux questions sont posées au lieu d’une seule.
En outre, à l’issue de celle-ci, ce ne sont pas les candidats qui votent entre eux, mais le public qui vote pour celui qu’il pense être le bluffeur. A la façon d’un Qui veut gagner des millions ?, les membres du public se saisissent d’une télécommande, votent, puis les résultats sont dévoilés. Si l’un des candidats dépasse les 50% de voix contre lui, il est alors éliminé d’office ; en revanche, si aucun candidat ne dépasse ce seuil, c’est le bluffeur qui reprend (anonymement, bien sûr) la main, pour éliminer le candidat de son choix.
Cette fois-ci, il n’y a pas de division des cagnottes des candidats par deux si le bluffeur n’est pas démasqué.
Aïe. Le public ne s’est pas mis d’accord, le bluffeur va pouvoir éliminer directement l’un de ses concurrents…
La cinquième manche se dispute entre les deux candidats restants, sur une nouvelle question ; mais cette fois-ci, les candidats pourront citer 3 réponses chacun.
A l’issue de celle-ci, chaque candidat doit faire une plaidoirie auprès du public (durant environ 15 secondes) pour le convaincre qu’il n’est pas le bluffeur ; puis le public vote, et le bluffeur est ensuite révélé. Si le public n’a pas réussi à le démasquer, il remporte la cagnotte qu’il a réussi à accumuler ; sinon, c’est son adversaire qui remporte la partie.
Un jeu de panel
Vous l’aurez compris, à l’instar d’Une famille en or, QELB est un jeu de panel, avec une question posée à un panel, qui a donné des réponses plus ou moins citées.
Mais ce jeu prend cette mécanique à contrepied d’UFEO, ce qui n’est pas plus mal, car ça reste non seulement cohérent avec la mécanique du jeu, mais aussi car ça paraît tout simplement plus logique.
Oui, c’est tout bête, mais, bien que la mécanique d’UFEO tienne quand même la route, j’ai toujours trouvé assez illogique que ce soit le jeu de panel qui ait le plus marqué les esprits… alors que c’est le seul (enfin, presque, je pourrais aussi citer Jouons à la maison…) à valoriser les réponses les plus citées. Soit, théoriquement, les plus simples à trouver…
Bon, depuis le temps, on a eu davantage d’exemples où ce sont les réponses les moins évidentes qui sont les plus valorisées, notamment avec Personne n’y avait pensé ; mais pour l’époque, il me semble que QELB devait être l’un des premiers à « détourner » la mécanique de UFEO.
En outre, ça reste cohérent avec la mécanique de jeu : en effet, avec des réponses qui semblent trop peu évidentes pour être honnêtes, on peut se dire que si elles sont citées, c’est parce que quelqu’un les a sous les yeux… ce n’est clairement pas avec une mécanique type UFEO que ça aurait pu tenir la route.
C’est donc pour moi l’un des meilleurs points du jeu : cette « nouvelle » façon de faire des jeux de panel.
Bon, en revanche, en ce qui concerne les questions, on ne peut pas dire que ce soit spécialement original ni très qualitatif, puisqu’on est davantage dans un registre semblable à UFEO ; donc pas de questions de culture générale façon PNYAP, plutôt des questions de « vie courante », type « Dans telle situation, que faites-vous ? » ou « Qu’est-ce qui vous attire le plus chez… » ?
Sauf que… alors, certes, en seulement deux mois d’existence, on n’aura pas vu beaucoup de questions ; mais… comment dire… on sentait que ça cherchait à s’adresser à un public légèrement plus « adulte » qu’UFEO. Avec notamment quelques questions (ou réponses) assez sexistes. Déjà, en proportion, par rapport à la durée de vie du jeu, ça en fait trop… et certes, autre temps, autres mœurs ; mais le jeu datait de 2006, tout de même ! Vers la même période, UFEO ne se permettait que très peu ce genre de questions/réponses peu politiquement correctes ; et pourtant, UFEO est le jeu de TF1 alors que QELB est celui de France 2. Cherchez l’erreur… est-ce que QELB cherchait à concurrencer Les z’amours en termes de ton peu adapté au service public ?
Je m’excuse pour l’image rognée, l’émission à disposition dont je l’ai extraite ayant été redimensionnée un peu maladroitement.
Cela dit, c’est peut-être pas plus mal, parce que comme ça, on lit plus difficilement que la réponse n°8 était « Les soldes »…
Et au cas où la réponse précédente ne vous paraissait pas suffisamment sexiste… ici, la réponse la plus chère était : « Les femmes étaient plus dociles ». Sincèrement, c’est vraiment difficile d’en vouloir aux candidats pour ne pas avoir pensé à ce genre de réponse…
Le problème des jeux de bluff et d’accusation…
Bon, autant vous l’avouer : je ne suis pas particulièrement fan des jeux de bluff et (surtout) d’accusation de façon générale. J’ai certes pas mal joué à des jeux de type Les loups-garous de Thiercelieux et Résistance durant mes années étudiantes, et… ça m’a rapidement lassé, au point qu’aujourd’hui, si on me propose d’y jouer, ce sera plutôt en traînant des pieds tant j’ai eu l’impression d’en avoir fait le tour et de ne plus y trouver mon compte.
C’est divertissant, certes ; mais pas fondé sur beaucoup de preuves concrètes. Bien sûr, on doit se baser sur des indices, comme sur ce qui s’est passé durant la nuit pour Les loups-garous de Thiercelieux… mais en dehors de ça, ces jeux reposent beaucoup sur l’élocution et le bagout des candidats ; et j’ai toujours le sentiment que la part de hasard est trop grande, avec en sus le risque d’accuser des innocents.
Toutefois, oui, ce sentiment d’accusation à tort ou à raison fait effectivement partie du jeu ; aussi, j’admets volontiers que le problème vient surtout de moi, et que je ne suis finalement pas la cible de ce genre de jeu. Que je cherche peut-être un peu trop à vouloir introduire du concret dans une mécanique où ce n’est pas le but ; et que si ces jeux ont fini par m’ennuyer, ce ne sera cependant pas le cas de tout le monde.
Mais ça ne m’empêchera cependant pas de relever les quelques problèmes qu’on peut avoir avec cette mécanique…
Ici, vous l’aurez compris, les indices qui permettent de démasquer le bluffeur, ce sont les réponses aux questions données par les candidats. On peut naturellement soupçonner qu’un candidat qui donne une réponse à 2000 ou 3000 euros, soit une réponse moins évidente, ait les réponses sous les yeux… statistiquement, ça tient la route, d’autant plus quand le bluffeur n’est toujours pas démasqué au bout de plusieurs tours, rendant sa tâche plus ardue au fil du jeu. Car son but reste tout de même de gagner de l’argent, donc il doit quand même prendre des risques, d’autant plus avec des cagnottes personnelles divisées par deux à chaque tour où il ne se fait pas démasquer (sauf égalités).
Bref, on a quand même une base suffisamment solide pour que le jeu puisse tenir la route à ce niveau-là.
Les candidats ont droit à un joli effet de fumée pour accompagner leur élimination. Ca surprend.
Mais c’est là que la partie « accusation » va me poser problème.
En fait, c’est très simple : dans ce genre de jeu, les accusations peuvent se faire selon n’importe quel motif, et on peut se retrouver avec des éliminations pas spécialement méritées. Bon, dans les trois premières manches, ça fait partie du jeu que le bluffeur induise en erreur les candidats, certes.
En revanche, ça pose déjà davantage problème lorsque le public s’en mêle. Parce que lorsque ça ne regarde que les candidats, on peut dire qu’ils lavent leur linge sale en famille ; mais lorsqu’une entité tierce (en l’occurrence le public) s’en mêle et devient juge, ça devient plus délicat.
C’est d’ailleurs là l’un des plus gros problèmes des systèmes de vote des émissions de télé-réalité : est-ce que l’on vote réellement pour les candidats les plus méritants… ou pour nos chouchous ? Ou l’inverse : a-t-on envie de profiter du système de vote pour dégager les candidats que l’on aime le moins ?
Bon, je n’irais pas non plus comparer QELB à Secret Story, hein ; d’autant plus que QELB n’est pas un format feuilletonnant, ce qui limite les risques d’attachement à des candidats. Mais bon, ça n’empêche toutefois pas ce genre de dérive de pouvoir s’appliquer. Qui sait si le vote est réellement honnête ?
Et enfin… alors, encore une fois, ça n’engage peut-être que moi, mais c’est le genre de concept que je trouve finalement un peu lassant à la longue. Comme pour pas mal de jeux de bluff, d’ailleurs : ça passe lorsqu’on espace les sessions, mais comme c’est le genre de mécanique basée sur la tchatche, c’est assez usant quand on en enchaîne à un rythme quotidien. Une diffusion hebdomadaire aurait peut-être pu mieux convenir.
Peut-être est-ce ça qui a également joué dans la déprogrammation prématurée du jeu : le sentiment d’en avoir déjà plus ou moins fait le tour rapidement.
La mise en scène
Enfin, parlons un peu de la mise en scène. On sent que ce jeu a certaines ambitions à ce niveau-là ; et il les accomplit… à peu près à leur mesure.
Déjà, niveau habillage visuel : celui-ci passe plutôt bien, et est cohérent avec le contenu. Bon, les incrustations du personnage d' »espion » ne sont pas des plus fluides et ont pris un petit coup de vieux visuellement, mais ça reste moins pire que les potes d’Attention à la marche à ce niveau (c’est l’avantage d’avoir fait un bonhomme en 2D).
L’habillage musical également est plutôt bon, avec un côté à la fois un peu épique et mystérieux, qui représente bien l’état d’esprit du jeu.
Sur le plateau… on en fait en revanche légèrement des caisses avec les effets de fumée. En fait, je trouve qu’à ce niveau-là, le jeu en fait soit trop, soit pas assez. Soit trop, car ces effets de fumée font peut-être un peu disproportionnés pour ce jeu (surtout pour les transitions entre les manches) ; soit pas assez, car ils auraient pu être accompagnés d’effets supplémentaires pour paraître plus « naturellement » intégrés. En fait, le jeu aurait pu se contenter d’effets de lumière, qui auraient tout à fait pu faire l’affaire.
Cela dit, en termes de mise en scène, j’aime beaucoup la fin du jeu, avec le chèque susceptible de se dérober à la dernière minute, révélant si le bluffeur a été démasqué ou non. De quoi clore l’émission de manière très satisfaisante.
L’aura ? L’aura pas ?
Sinon, le seul « vrai » défaut que j’aurais à reprocher à ce jeu, c’est la gestion de son rythme. L’émission pouvait durer environ 40-45 minutes ; mais on aurait facilement pu l’amputer d’au moins 5 minutes à mon avis.
C’est à imputer majoritairement au fait que QELB est un jeu très basé sur la tchatche, et que les phases de blabla (accusations, défense devant le public…) peuvent donc un peu s’éterniser, d’autant plus si on rajoute la réflexion personnelle des candidats avant de donner leur réponse (si on a des candidats bavards, ça peut devenir très vite ennuyeux…).
Et au final, ça reflète plus ou moins bien mon opinion globale au sujet de ce genre de jeu : intéressant sur le principe, mais en pratique un peu lassant.
Total : 12/20
Qui est le bluffeur ? est un jeu qui n’est… pas vraiment ma came. C’est un visionnage que j’apprécie tout de même, mais sans plus.
En effet, si le côté « tchatche » et « jeu de bluff » a de quoi séduire les amateurs du genre, il peut assez rapidement lasser les autres ; et peut-être est-ce l’une des raisons pour lesquelles ce jeu n’avait pas fonctionné à l’époque. Peut-être qu’un travail un peu plus poussé sur le rythme lui aurait permis de minimiser ce genre de désagrément.
Toutefois, en termes de mécanique, il tient plutôt bien la route, et peut valoir le coup d’œil, ne serait-ce que pour les questions posées dont les réponses parfois improbables peuvent amuser (… ou consterner, pour celles qui reflétaient une mentalité qui n’est plus vraiment acceptable aujourd’hui), ainsi que pour la mécanique façon Une famille en or inversée qui n’est pas dénuée de fondement.
Bref : du correct sans plus, pour moi. Ca aurait peut-être mérité de durer un peu plus longtemps, ou d’être proposé de façon saisonnière ; mais ça n’avait pas vraiment les épaules pour être la solution miracle qui aurait permis à l’access de France 2 de prospérer.
D’ailleurs, en parlant d’access de France 2 prospère…