Les années 2000 ont été plutôt fastes pour TF1 en matière de jeux TV. En effet, le public retient pas mal de jeux devenus cultes de cette période-là, comme Le maillon faible, A prendre ou à laisser, Attention à la marche (j’ai pas dit qu’ils étaient devenus cultes pour les bonnes raisons, en revanche…), et bien évidemment QVGDM. Auxquels on peut rajouter les revivals exécutés avec succès de La roue de la fortune, d’Une famille en or et du Juste prix (qui aura d’ailleurs à la fois connu une fin en début de décennie, et un nouveau début en fin de décennie). Et même parmi les concepts qui ont moins marqué les esprits, comme Allô quiz, Zone rouge, Crésus ou 1 contre 100, ceux-ci auront tout de même connu leur petit succès pendant un temps, du moins ils auront été suffisamment satisfaisants aux yeux du diffuseur pour durer plus d’une saison.
Bref, tout cela a un peu éclipsé les vrais échecs de cette période, qui ont été au nombre de deux, et qui seront tous les deux survenus en 2008. Le second est Dance Floor : qui sera le plus fort ? diffusé en septembre (et que je ne traiterai pas, parce que c’est plus proche du télé-crochet que du jeu de plateau, ce qui n’est pas mon rayon) ; le premier est le jeu d’aujourd’hui.
Jouez pour 5 fois plus (au passage, je ne serais pas étonné que ce titre aussi planplan soit en partie responsable du fait que ce jeu n’ait pas attiré les foules…) était donc un jeu de TF1, présenté par Jean-Pierre Foucault, et diffusé le dimanche à 18h, du 17 février au 13 avril 2008. Vu la fréquence de diffusion hebdomadaire, cela a donc fait un total de seulement 9 épisodes diffusés… pas très glorieux.
Et ça m’ennuie beaucoup, parce que… ça a rendu les archives télévisuelles de ce jeu quasiment introuvables. Bon, certes, cet aspect-là ne dépend pas forcément du succès du jeu (j’ai bien réussi à retrouver des archives de jeux comme Mission : 1 million, Le mur infernal, Tous en jeu ou Mokshû Patamû, qui ont pourtant duré beaucoup moins longtemps qu’Allô quiz, dont je n’ai quasiment rien pu retrouver) ; mais disons que ce nombre d’épisodes restreint, couplé à l’audience pas terrible, n’a pas dû encourager beaucoup de monde à enregistrer l’émission et à la mettre en ligne.
Fort heureusement pour moi, cette émission est l’adaptation du concept étatsunien Power of 10 (que j’abrégerai par Po10), diffusé sur CBS en 2007-2008. Qui aura duré là-bas… 18 épisodes. Ça reste le double de la version française, mais ça ne reste pas bien fameux non plus.
Et ça a d’ailleurs été la même chose pour quasiment toutes les versions étrangères. Bon, pour les producteurs, ça a quand même dû être une très bonne affaire, dans la mesure où ils auront réussi à exporter leur jeu dans 25 autres pays (24 si on retire l’Espagne, qui a juste tourné un pilote sans donner suite) ; en revanche, le jeu n’aura duré pas plus de quelques mois dans quasiment aucun de ces pays-là non plus. Seule exception notable au tableau : l’Inde, où le format aura duré de 2008 à 2018, soit 10 ans d’existence ! Comme quoi, nul n’est prophète en son pays.
Bref, en dépit du fait que ce format ait été beaucoup exporté, vu le peu de succès qu’il a pu avoir quasiment partout, ça n’est pas très rassurant concernant sa qualité… mais ça, on y reviendra très rapidement.
Pour l’heure, ça me permet surtout d’avoir de la matière à réflexion concernant ce format, puisque les archives de la version US du jeu sont facilement accessibles ; et, de ce que j’en ai vu, la VF en avait l’air assez proche (je détaillerai les quelques différences potentielles en temps voulu). Donc, même si je fais “officiellement” la critique de Power of 10, je pense qu’elle reste valable également pour Jouez pour 5 fois plus. Allez, c’est parti.
Le concept
Le concept du jeu est simple : on pose des questions de type “sondage”, dont la réponse est un pourcentage ; et le but des candidats est de se rapprocher le plus possible du pourcentage attendu.
… voilà, voilà.
Bon, les concepts à base d’estimation, ça n’avait déjà rien de très nouveau à cette époque. Après tout, c’était le fonds de commerce d’Attention à la marche, qui était arrivé sur TF1 8 ans plus tôt (… et qui était encore à l’antenne lorsque JP5FP est arrivé, bien qu’il eût muté en jeu de culture générale lambda entre-temps).
Ce qui va être intéressant, ça va être de savoir comment ce concept va être exploité, et surtout si on ne va pas tourner rapidement en rond dessus.
Prenez par exemple le concept de “quiz à liste”, où l’on donne un thème aux candidats, qui doivent donner le plus de bonnes réponses correspondant à celui-ci. Je peux citer deux jeux reposant sur ce concept : La Cible, et La liste gagnante.
A mes yeux, l’un est un jeu intéressant, tandis que l’autre est passable voire médiocre. Bon, si vous avez déjà lu mes critiques plus anciennes, vous vous doutez que La Cible est le bon jeu, et que La liste gagnante est le médiocre.
Ce qui fait (entre autres) que je considère La Cible comme un bon jeu, c’est parce qu’il exploite son concept de base de façon diversifiée, en l’articulant autour de 5 ou 6 manches qui ont toutes un principe différent ; ce qui fait qu’on suit l’ensemble de l’émission de façon fluide et agréable, sans s’ennuyer (enfin, sauf pendant les Définitions…).
A l’inverse, LLG est plutôt médiocre, car le concept de base est exploité assez pauvrement, avec seulement deux manches (+ une manche additionnelle en cas d’égalité) ; ce qui fait qu’on s’ennuie assez vite, parce qu’on a l’impression de faire le tour du concept au bout d’une poignée d’épisodes (et pour la VF, ce n’est pas aidé par le fait que le rythme est très mou…).
Si je vous parle de ça, c’est parce que Po10… est malheureusement plutôt l’équivalent de La liste gagnante (The Rich List en VO).
En fait, on a exactement la même structure de programme pour Po10 et LLG (une manche de sélection jouée en duel, suivie d’une finale à la QVGDM) ; à tel point que je me suis demandé si ces deux formats n’avaient pas été créés par les mêmes producteurs, d’autant plus qu’ils avaient été originellement créés tous les deux en 2007… mais non, il s’agit bien de deux sociétés de production distinctes, avec des concepteurs différents.
C’est donc juste une coïncidence ; mais en tout cas, ça semble prouver que ce modèle de conception de jeu reste un poil trop simpliste pour susciter de l’intérêt au-delà du court terme…
La manche de sélection
Pour la manche 1, deux candidats s’affrontent sur une série de questions. Pour chaque question, le plus proche de la réponse attendue remporte 1 point ; et le candidat qui arrive à 3 points en premier est qualifié pour la finale.
Bon, j’ai envie de dire que c’est un bon principe de manche pour découvrir le concept… mais d’un autre côté, je trouve que ça reste vraiment très léger de baser la confrontation entre candidats uniquement là-dessus.
En à peine plus de 5 minutes, on connaît déjà le finaliste… c’est très expéditif, comme processus de sélection. Bon, j’admets que par rapport à LLG (où on passe potentiellement 20 minutes sur seulement deux ou trois questions…), ça reste plus fluide, certes.
Mais, vraiment, c’était tout ce que les producteurs avaient à proposer ? Prenez la manche 2 d’Attention à la marche, par exemple, dont le principe se distingue de celui de la manche 1 (avec un candidat qui propose une réponse, et son adversaire qui doit dire si c’est plus ou moins). Ca, c’est une variation du concept.
En fait, à l’instar de LLG, je soupçonne les producteurs d’avoir d’abord imaginé le format de la finale (plus intéressant), qu’ils se sont rendus compte qu’il n’était pas assez consistant pour justifier une émission à part entière, et qu’ils ont bricolé une manche introductive plus simpliste pour le compléter.
La finale
Grosso modo, la finale, c’est le même principe, mais exploité façon QVGDM.
Au passage, c’est à la gestion des gains de cette finale que l’on doit le titre de l’émission, en VO comme en VF.
En VO, le titre “Power of 10” se traduit par “Puissance de 10” ; ce qui correspond au fait que, pour chaque question, le gain en jeu est une puissance de 10. Ainsi, la première question permet de remporter 1 000 $ ; la suivante 10 000 $ (soit un zéro de plus) ; etc. jusqu’à la cinquième et dernière question, qui permet de remporter 10 000 000 $.
En VF, en revanche, on a préféré gérer les gains différemment. Déjà, parce que même si on est sur TF1, on ne peut pas se permettre d’avoir un gain maximal qui est l’équivalent de 10 millions de dollars… 1 million d’euros, c’est déjà très bien. On aurait cependant pu rester sur l’idée des puissances de 10, en démarrant cette fois-ci de 100 €, pour arriver à 1 000 000 € ; mais j’imagine que ça aurait paru un peu radin, surtout en comparaison des gains réels de Jouez pour 5 fois plus.
Par conséquent, le diffuseur est plutôt parti sur l’idée de multiplier le gain de chaque palier par 5 pour déterminer le gain potentiel suivant, afin d’arriver au million d’euros. D’où le titre “Jouez pour 5 fois plus”, qui correspond à nouveau à la façon dont les gains des différents paliers ont été déterminés. Ce qui explique également pourquoi le premier échelon démarre à 1 600 €, et non pas à une valeur plus “ronde” comme 1 000 € ou 1 500 €, comme on a généralement l’habitude dans les jeux à pyramide de gains.
Numéro question | Marge | Gain associé (FR) | Gain associé (US) |
1 | 40 % | 1 600 € | 1 000 $ |
2 | 30 % | 8 000 € | 10 000 $ |
3 | 20 % | 40 000 € | 100 000 $ |
4 | 10 % | 200 000 € | 1 000 000 $ |
5 | Aucune | 1 000 000 € | 10 000 000 $ |
Revenons-en au principe de la finale.
Structurellement parlant, ça reste du QVGDM-like assez classique. Pour chaque question, le candidat peut soit s’arrêter là, et repartir avec ses gains accumulés ; soit tenter une réponse, et passer à la question suivante en cas de victoire, ou bien voir la partie s’arrêter en cas d’erreur.
Notons cependant qu’en l’absence de paliers de sécurité, rater une question fait s’arrêter la partie, mais en faisant remporter le gain de l’échelon inférieur (soit 10% – ou 20% en VF – de ce qu’il a déjà accumulé). Ainsi, si un candidat tente la question 3 (avec donc 10 000 $ ou 8 000 € dans sa cagnotte), mais qu’il la perd, il repart avec 1 000 $ (ou 1 600 € en VF). Seules les questions 1 et 2 sont vraiment dangereuses, et font repartir le candidat bredouille s’il y répond mal.
Je reconnais que c’est plutôt honnête de la part du jeu, d’autant plus avec le principe “hasardeux” de celui-ci.
Bon, toutefois, vous avez dû remarquer la colonne “Marge” dans mon tableau ci-dessus, et vous demander à quoi elle pouvait correspondre.
En fait, pour chaque question (sauf la question 5, on y reviendra), le candidat va proposer une fourchette correspondant à cette marge (par exemple, entre 16% et 56% pour la question 1, dont la marge est de 40%). Si la réponse attendue est dans la marge du candidat, la question est alors validée.
C’est un bon principe, qu’on avait d’ailleurs déjà eu l’occasion de voir à l’œuvre dans Ces années-là (qui était soit dit en passant un autre jeu à base d’estimations, avec un concept exploité de façon plus variée…).
Mieux que ça : il permet aussi d’appliquer une gradation objective de la difficulté au fur et à mesure des questions ; dans la mesure où le critère qui va rendre la progression du candidat plus difficile, c’est la réduction de la marge.
Cette finale ne met pas vraiment de jokers à disposition du candidat ; en revanche, pour chaque question, le candidat peut demander à son accompagnant, ainsi qu’au public, ce qu’il en pense. Pour l’avis du public, celui-ci prend la forme d’un graphique.
D’un côté, je trouve quand même un peu bizarre que l’avis du public soit donné quasi-systématiquement, dans la mesure où le public peut être perçu comme un échantillon représentatif du panel qui a répondu aux questions, et peut donc donner une certaine idée des eaux dans lesquelles se situe la réponse… ce serait un peu comme si l’avis du public de QVGDM était systématiquement proposé à chaque question, ça serait déconcertant.
Mais bon, de l’autre côté, comme le concept du jeu ne repose pas sur une science exacte (loin s’en faut), pourquoi pas, après tout…
Enfin, parlons de la fameuse question 5.
J’ai écrit dans mon tableau récapitulatif qu’elle ne disposait d’aucune marge : et en effet, une réponse exacte est attendue.
Cela dit, je vous rassure : on ne va pas demander au candidat un pourcentage précis entre 0% et 100%. Même la finale pourrie de La porte ouverte à toutes les fenêtres ne l’aurait pas osée, celle-là…
Non, en fait, on va continuer à jouer avec la question 4, dont on n’aura pas révélé la réponse (on aura juste validé la marge proposée par le candidat). Le candidat devra donc donner le pourcentage précis, situé dans cette marge. Soit une chance sur 11 de trouver la bonne réponse.
Bon, c’est moins vache que de demander directement une réponse entre 0 et 100% ; cependant, ça reste toujours beaucoup trop hasardeux pour vouloir tenter quelque chose… de fait, en VO comme en VF, personne n‘ayant validé la question 4 n’a voulu tenter la question 5.
Pourtant, l’idée de demander l’estimation précise, afin de prendre le contrepied de la mécanique globale, ce n’est pas inintéressant. C’est ce qu’a fait Guess my age, et ça fonctionnait plutôt bien ; mais en contrepartie, GMA a mis des outils à disposition des candidats pour affiner la réponse, et s’assurer qu’elle puisse rester trouvable. Ce que Po10 n’a pas fait, à part restreindre la plage de valeurs possibles à 11, ce qui reste malheureusement insuffisant.
Et le fait que cet enjeu final soit rendu aussi dissuasif n’aide malheureusement pas à rehausser l’intérêt du jeu. Dommage.
Total : 10/20
A l’instar de La liste gagnante (ou The Rich List, puisque je parle de la VO), Power of 10 me donne l’impression que les producteurs avaient une idée de concept relativement correcte en tête ; mais qu’ils ne savaient pas trop comment la rendre pleinement consistante. Car, en soi, le concept d’estimation proposé n’est pas trop mal ; en revanche, il n’est pas exploité à son plein potentiel, et on en fait assez rapidement le tour.
De fait, je ne suis pas étonné du manque d’enthousiasme généralisé qu’a pu connaître le format à travers le monde. Passé l’effet de curiosité, il ne restait plus grand-chose à découvrir ; et ce n’est pas l’enjeu maximal, certes démesuré, qui risquait de susciter de l’intérêt, étant donné son manque d’accessibilité assez problématique, qui faisait que personne n’allait être assez fou pour le tenter.
Et pour rester en France, on pouvait trouver des jeux à base d’estimations plus marquants que ça. Attention à la marche, en particulier, pour parler d’un jeu du même diffuseur. Même si ce jeu-là aura sans doute davantage marqué les esprits pour son ambiance Reichmannesque, conceptuellement parlant, il donnait l’impression d’être un peu plus consistant. Je trouve d’ailleurs que, quitte à exploiter son concept quelque part, la finale de Jouez pour 5 fois plus aurait pu faire un très bon principe de finale pour AALM (tout comme celui de la finale de La liste gagnante aurait pu faire un très bon principe de finale pour La Cible).
On ne va cependant quitter ni TF1, ni Jean-Pierre Foucault pour la prochaine fois ; mais cette fois-ci, on parlera d’un concept original davantage consistant…