Bon, à force d’en parler, ça se sait que je déteste ce qu’est devenu Fort Boyard dans les années 2010 (à partir de 2013 environ) et que je le fais savoir ; ce qui a tendance à en agacer certains. J’ai en effet déjà eu des discussions ça et là avec des gens, qui ont été excédés par tout le flot de critiques que j’ai pu adresser aux saisons plus récentes.
Alors, déjà, je le précise tout de suite : tant mieux pour ceux qui adorent, je ne les juge pas sur cet aspect-là. Quand je critique violemment l’évolution du programme, ce sont avant tout aux mauvais choix de la production auxquels je m’attaque, pas aux gens qui apprécient (les goûts, les couleurs, tout ça). Et je suis tout à fait prêt à entendre et accepter les arguments de ceux qui apprécient sincèrement ! Même si parfois, je ne les comprends clairement pas : par exemple, Olivier Minne qui paraît beaucoup plus spontané et détendu durant les années 2010 que durant les années 2000 pour certains ; alors que ce n’est pas du tout l’impression qu’il me renvoie, et que je le préférais très nettement dans les années 2000… mais bon, si vous avez des raisons d’aimer ça, tant mieux pour vous.
Mais d’autres, qui estiment que la meilleure défense est l’attaque, se permettent de me répliquer directement des arguments prémâchés, qui se résument en une phrase, et qui m’irritent vraiment. Parce que bon, si je me donne la peine d’expliquer de façon détaillée pourquoi je trouve que l’évolution du programme est complètement foireuse, j’apprécie qu’on fasse des efforts pour me dire en quoi je suis censé avoir tort à ce niveau-là. En revanche, si vous me sortez des arguments complètement bateau du type « Mais c’est normal, c’est pour les enfants ! » ou « De toute façon, il fallait que le programme évolue, évidemment, alors accepte le changement et estime-toi heureux qu’il continue à exister ». Je me suis déjà attaqué dans un autre article à l’argument « C’est pour les enfants ! » ; aujourd’hui je vais défoncer l’autre bien comme il faut.
Parce que, je vous jure, ça m’énerve au plus haut point qu’on simplifie mon point en vue en « Oui, on a compris, t’es du genre C’était mieux avant, gna gna gna » quand je me donne la peine d’expliquer mon point de vue de façon détaillée.
Non, tout n’était pas mieux avant…
Mettons tout de suite quelque chose au clair : NON, je ne suis pas un vieux rétrograde qui estime que « tout était mieux avant » !
Alors, certes, j’ai le sentiment que, globalement, ce qui se fait en matière de jeux et émissions TV depuis quelques décennies me plaît globalement moins qu’à une certaine époque ; et, oui, le fait d’avoir grandi avec certaines œuvres aide à avoir un attachement émotionnel envers elle.
Mais bon, ce n’est évidemment pas une raison pour généraliser quoi que ce soit. Et pour le prouver, je vais citer quelques exemples.
Au niveau des jeux TV, je peux citer des jeux de mon adolescence ou de mon enfance que je n’ai pas aimés, et que je n’aime toujours pas aujourd’hui : par exemple, Attention à la marche, dont je n’ai jamais accroché à l’ambiance, aussi bien jeune qu’adulte. Ou encore Les z’amours et Tout le monde veut prendre sa place : alors, certes, ces programmes ont continué à exister quand je suis devenu adulte, mais ils ont été conçus avant, et déjà à l’époque je ne les aimais pas.
A contrario, je peux citer des jeux récents que j’aime bien : la version maestro de N’oubliez pas les paroles date de 2013, et j’adore son ambiance ; et 8 chances de tout gagner, qui date de 2016, fait partie du top 5 de mes jeux TV préférés.
Et pour sortir un peu du domaine des jeux TV (tout en restant dans le télévisuel), je peux également citer certaines séries.
Ainsi, ma série préférée (à l’heure où j’écris ces lignes) est une série de… 2016 ! Il s’agit de The Good Place, une sitcom que j’ai trouvé très rafraîchissante, très drôle, mais aussi particulièrement pertinente quant aux messages qu’elle renvoie.
A l’inverse, je peux citer deux exemples de séries des années 90-début 2000 que j’ai aimées enfant-ado, mais qui ont pris un coup de vieux certain, et qui aujourd’hui ont été pour moi supplantées par des séries plus récentes, qui ont repris leur concept en mieux. Ainsi, je ne mettrai pas sur un piédestal Friends et Un gars, une fille, même si je les avais beaucoup aimés à une certaine époque.
Friends reste une sitcom feel-good, agréable à regarder, avec un esprit de bande assez marquant ; mais, depuis, j’ai trouvé que d’autres séries ont réussi à faire mieux et un peu moins daté. En particulier How I met your mother, qui est pour moi un Friends modernisé, et qui appuie mieux certains thèmes (comme la crise de la trentaine) par rapport à sa prédécesseure. Cette série n’est pas sans défauts non plus, toutefois j’ai préféré How I met your mother à Friends.
Quant à Un gars, une fille, aujourd’hui, je trouve cette série tout juste correcte ; car, depuis, je me suis rendu compte que l’humour n’était finalement pas très recherché la plupart du temps, et que c’était basé majoritairement sur du stéréotype sexiste qui a mal vieilli. Dans le même genre, je lui préfère largement Scènes de ménages, qui est davantage contemporaine, et dont l’humour est certes inégal mais repose sur des personnalités de personnages qui vont plus loin que « C’est drôle parce que Jean est un macho et qu’un gars c’est macho, et qu’Alex est une pipelette et qu’une fille c’est bavard ». En outre, ce n’est clairement pas moi qui irais affirmer qu’Un gars, une fille est la troisième meilleure série de tous les temps, comme l’a fait un certain sondage…
Je pourrais également citer pas mal d’exemples dans d’autres domaines, comme les jeux vidéos (j’adore Last Window, le secret de Cape West sorti en 2011, Professeur Layton et l’Héritage des Aslantes et Zelda A Link Between Worlds sortis en 2013, Cities Skylines sorti en 2015, Bravely Default II sorti en 2021… et à l’inverse, même si j’ai du respect pour ces jeux et que je les trouve qualitatifs, je ne suis pas fan de Zelda Ocarina of Time et Rayman 2 pourtant sortis respectivement en 1998 et 1999) ou les films d’animation (j’adore Le chant de la mer sorti en 2014, Tout en haut du monde sorti en 2015, Le peuple loup sorti en 2020… mais je ne suis pas plus fan que ça du Roi Lion qui a pourtant marqué énormément d’enfants de ma génération). Mais bon, je vais m’arrêter là et revenir un peu au propos initial.
Bref, tout ça, c’était pour dire que je suis parfaitement capable d’apprécier voire d’adorer quelque chose de récent, tout comme ce n’est pas parce que quelque chose date de ma génération que je vais automatiquement trouver ça génial.
Pour en revenir à Fort Boyard… alors, certes, pour le coup, c’est un cas où je préfère très largement les saisons anciennes aux saisons récentes, et sans doute celui où mon écart d’appréciation entre ces deux périodes est le plus grand. Toutefois, la nostalgie est très, très loin d’expliquer à elle seule ce grand écart.
Ainsi, même si j’ai du respect pour les toutes premières saisons (1990 à 1992 environ), je trouve qu’elles ont cependant pris un certain coup de vieux sur la gestion de leur rythme, et ce ne sont pas des saisons qui me donnent spécialement envie de les regarder en dehors de leur intérêt « archéologique ».
Je peux également citer la saison 2002 : une saison dont j’avais un très bon souvenir étant enfant, mais celle qui m’a le plus déçu quand je l’ai revue adulte ; car je me suis rendu compte 10 ans plus tard que ses règles étaient moins intéressantes et pas toujours au point, et surtout que le ton de cette saison paraissait plus enfantin, notamment avec Jean-Pierre Castaldi qui surjouait énormément.
Pour compléter la liste, je pourrais aussi citer quelques tendances de fond qui ont mal vieilli, en particulier le côté sexiste qui était davantage assumé à l’époque (si je l’ai reproché à Un gars, une fille, il n’y a pas de raison que je ne le souligne pas ici non plus) et qui peut rendre les séquences en question gênantes lorsqu’on les regarde aujourd’hui. Mais bon, il n’était pas non plus exacerbé à ce point-là.
Mais pour le reste, je continue à trouver que les saisons des anciennes périodes ont suffisamment (largement assez, même) de points positifs pour continuer à capter mon attention, même adulte. Pas parce que c’étaient des saisons des années 1990-2000, mais parce que leur formule tenait la route, que la diversité d’épreuves était plus intéressantes, qu’elles savaient mieux poser leur ambiance, etc.
Si les saisons des années 2010 avaient eu des qualités semblables, j’aurais été enclin à les apprécier, ou a minima à les respecter. Parce que leur défaut n’est pas d’avoir proposé au programme d’évoluer…
ÉVIDEMMENT que les formats doivent évoluer !
Oui, ça aussi, c’est un argument qu’on adore rétorquer à quelqu’un qui était attaché à une version spécifique d’un programme, et qui n’y trouve plus son compte quand la formule change.
Déjà : oui, évidemment qu’un programme ne peut pas rester dans son jus tel qu’il était au départ. Je n’imagine pas une seule seconde Des chiffres et des lettres être diffusé en 2021 comme il l’était en 1975, étant donné que beaucoup de codes télévisuels ont changé depuis, que de nouvelles technologies sont arrivées, etc. Et ce programme l’a d’ailleurs bien compris, en faisant des efforts sur son rythme, son habillage, l’introduction de nouveautés, etc. Que vous trouviez le concept désuet, certes ; mais on ne peut pas dire non plus que le jeu a complètement pris la poussière, au moins sur sa forme.
Et dans l’autre sens, je pourrais même citer un programme que j’ai encore plus détesté au fil du temps, parce qu’il n’a justement pas su évoluer : Tout le monde veut prendre sa place. Alors, certes, je n’aimais déjà pas du tout ce que c’était du temps où c’était présenté par Nagui ; mais la version Jarry qui a suivi est encore pire ! Le programme date de 2006, et il avait déjà des problèmes importants ; mais le fait qu’en 2024, la structure du programme n’ait pratiquement pas évolué d’un iota (hormis quelques questions en plus ou en moins par-ci par-là), au profit d’effets de manche de l’animateur/conseiller artistique pour détourner l’attention à ce niveau-là, est encore pire ! Pour moi, TLMVPSP est un programme qui vieillit beaucoup plus mal que DCDL, parce qu’il ne se remet jamais en question ! Et en 2024, il arrive à ses 18 ans d’existence, tout de même ; on aurait pu espérer des nouveautés plus conséquentes que des tickets d’or ou des happenings qui ne servent à rien !
Et pour ma part, je ne demande évidemment pas qu’un programme reste 100% identique à ses débuts (à nouveau, pour n’en citer qu’un : TLMVPSP…).
Ca me fait d’ailleurs bien rire qu’on me reproche de me plaindre que Fort Boyard « évolue » ; alors que, depuis que j’ai commencé à le regarder, celui-ci a connu trois changements de formule notables, plus précisément en 2003, 2010 et 2011. Vous croyez vraiment que si le simple fait de changer de formule me déplaisait, j’aurais continué à suivre le programme aussi assidûment ?
En particulier pour le changement de formule de 2003. Certes, sur le coup, la perte de certains repères m’avait fait un léger choc ; mais petit à petit, je m’y suis fait. Parce que je me suis rendu compte que cette formule tenait bien la route ; mais que, de plus, elle ne dénaturait pas le programme, et ne perdait quasiment pas en qualité, ou bien compensait les qualités perdues par de nouvelles. Pour moi, ça correspondait bien à une idée de modernisation.
Je pourrais d’ailleurs en dire légèrement de même pour la saison 2011 : certes, le programme commençait à mettre en avant quelques idées plus discutables, et on sentait que la formule devait se rôder ; mais en soi, cette saison ne m’a pas déplu, et elle aurait même pu être un excellent terreau pour une modernisation vraiment réussie et compatible avec les fondamentaux du programme… si on en avait corrigé les défauts. Pour le coup, si le programme a mal tourné par la suite, ce n’est pas parce que la formule était foireuse de base ; mais surtout par accumulation de mauvaises (voire très mauvaises) idées jusqu’à rendre l’émission imbuvable.
Quant à la saison 2010… oui, je l’admets, j’avais laissé tomber assez rapidement l’émission car cette formule ne me plaisait pas. En revanche, par la suite, j’ai fini par revoir cette saison à la hausse (même si je ne l’aime toujours foncièrement pas) ; et même à légèrement la préférer à d’autres saisons ultérieures ! Pour une raison simple : en dépit des défauts que cette saison a à mes yeux, ceux-ci relèvent davantage d’une maladresse de la part de la production de l’époque, que d’une volonté délibérée de dégrader le programme. Si la formule de la saison 2010 avait eu plus de succès, et que le programme avait continué dans cette voie-là, je n’aurais pas été spécialement mécontent ; un peu déçu, certes, mais j’aurais admis que la formule aurait pu tenir la route quand même.
Donc voilà, c’est tout à fait normal qu’un format évolue avec son temps.
D’ailleurs, pour reprendre un exemple dont je parlais dans le paragraphe précédent : heureusement que les mœurs évoluent également, et que par exemple le sexisme ordinaire soit moins bien vu aujourd’hui qu’il y a 30 ans. Ce n’est clairement pas un point des années 90 que je vais regretter (et c’est d’ailleurs vaguement un bon point des saisons récentes : elles mettent beaucoup moins d’emphase là-dessus – même si parfois il y a quelques résidus).
Mais évoluer n’est pas une raison pour faire n’importe quoi !
Voilà, pour résumer : évidemment qu’un format doit évoluer avec son temps, mais ce n’est pas une raison pour le faire évoluer n’importe comment. Tout est dit !
Parce que sinon, à ce titre-là, c’est très facile de « moderniser » un programme, si le seul critère qui compte est de voir des nouveautés.
Par exemple, je veux « moderniser » Questions pour un champion sans trop me fouler ? Oh ben je sais ! Je n’ai qu’à mettre des danseuses du ventre au fond du plateau et à demander aux candidats de jouer au bowling entre deux manches ! Après tout, ça n’a jamais été vu dans l’émission, donc c’est une nouveauté, donc une façon de faire évoluer le programme ! Pourquoi se casser la tête à réfléchir davantage, si tout ce qui compte c’est de mettre de l’inédit ? On peut moderniser n’importe quoi comme ça !
En fait, vous savez ce que je trouve encore plus énervant qu’une oeuvre qui est très mauvaise ? Une oeuvre qui est très mauvaise, mais qui était auparavant bien meilleure que ça…
Alors, certes, l’exercice de faire évoluer une oeuvre avec son temps peut être délicat, et moderniser un format dans le bon sens, c’est plus facile à dire qu’à faire. Toutefois, il est important au préalable de se demander : qu’est-ce qui fait qu’une émission est adorée, à la base ? Se poser la question et y répondre, c’est déjà un bon départ, car ça donne les éléments nécessaires à la réflexion.
Certains jeux ne se donnent d’ailleurs même pas cette peine.
Je pourrais citer Qui veut gagner des millions ? ou Le grand concours des animateurs, deux programmes pour lesquels j’ai trouvé leur évolution particulièrement insultante par rapport à leurs débuts. Ce qui faisait partie de leur intérêt premier, pour moi, c’était clairement leur ambiance solennelle (qui n’empêche toutefois pas un peu de légèreté de temps à autre) ; or, par la suite, les producteurs et diffuseurs en ont fait de « vulgaires » divertissements prétextes à montrer des people s’amuser entre eux, en roulant sur l’ambiance solennelle au rouleau compresseur. Non seulement ce qu’ils en ont fait est beaucoup moins intéressant à regarder (et en devient même particulièrement lourdingue par moments…) ; mais en plus de ça, c’est un énorme manque de respect au format de base.
Messieurs dames les producteurs et diffuseurs : si vous tenez tant que ça à reprendre un concept en lui donnant une toute autre ambiance, dans ce cas, appelez-les autrement, mais n’ayez pas le culot de prétendre vous inscrire dans la continuité du format de base. Alors, oui, c’est évidemment plus difficile de lancer une nouvelle marque qui doit faire ses preuves que d’en prendre une pré-existante qui a déjà son public ; mais au moins, le public en question ne se sentira pas insulté.
Pour prendre un autre exemple dans un domaine totalement différent, Coca-Cola avait tenté de changer sa recette en 1985, mais en prétendant quand même s’inscrire dans la continuité de l’ancienne recette (il y avait certes l’ajout du mot « New » sur la canette, mais officiellement, le nom restait le même), alors qu’ils auraient tout aussi bien pu lancer une nouvelle variété à part. Le fait de ne pas avoir laissé le choix et d’avoir imposé cette nouvelle formule avait suscité une insatisfaction massive du public cible, et la compagnie a finalement dû réintroduire l’ancienne recette. Ici, ce qui faisait le succès initial de la boisson, c’était son goût, et le fait d’avoir voulu changer ça radicalement a été impopulaire.
Mais parfois, les raisons qui font qu’on adore une émission à la base ne sont pas toutes évidentes, et c’est fréquent d’en oublier lorsqu’on tente de s’atteler à une suite.
Pour prendre un exemple cinématographique, citons bon nombre de suites de films très connus et adorés, pour lesquelles on n’a retenu que des aspects superficiels.
En particulier, des comédies, qui avaient pour elles certes un bon humour, mais également un bon scénario, des bons développements de personnages, etc. Le public aura peut-être certes davantage retenu l’humour du premier film, mais le premier film ne se résumait pas qu’à ça. Or, pour les producteurs et/ou réalisateurs qui prennent en charge la suite, il arrive qu’ils ne comprennent pas que ce qui faisait le succès du premier opus, c’était un tout ; et par conséquent, ils vont chercher uniquement à surfer sur le côté le plus évident, à savoir l’humour. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles beaucoup de gens considèrent que Shrek 3 et Shrek 4 ne sont pas des bons films, contrairement aux deux premiers, qui n’étaient pas juste de simples comédies.
Et c’est la même chose pour Fort Boyard. Quelque part, j’ai l’impression que la production des années 2010 a discerné quelques éléments qui ont contribué au succès de l’émission… mais principalement des éléments superficiels, qui n’avaient pas autant été exacerbés au départ.
Par exemple, le divertissement : oui, beaucoup de gens retiennent certaines épreuves cultes pour cette raison-là comme le Tapis Roulant, ou des séquences qui ont fait rire aux dépens des candidats comme des cris de terreur dans la Fosse aux serpents (ou toute autre épreuve à phobie). Toutefois, ce n’est pas représentatif du jeu à 100% pour autant. Les raisons pour lesquelles Fort Boyard est un format marquant sont multiples et complexes, et prétendre s’inscrire dans la continuité en n’en reprenant que des éléments superficiels est foireux.
C’est le même principe que la « Flanderisation », terme qui vient de la série Les Simpson ; où le personnage de Ned Flanders (voisin des Simpson) était au départ un personnage complexe, mais qui a été au fil du temps réduit à une caricature et à son trait de caractère le plus évident, lui faisant énormément perdre en profondeur. Ca montre au final qu’on n’a pas si bien compris le personnage de base que ça, et qu’on s’est laissé berner par les apparences les plus évidentes.
Mais à ce titre, on pourrait tout aussi bien critiquer les saisons de la décennie 2000 : après tout, là aussi, on pouvait dire que quelque chose s’était perdu par rapport aux années 90 ; et pourtant, je suis beaucoup moins sévère envers celles-ci qu’envers celles des années 2010-début 2020…
D’ailleurs, une partie du public a également trouvé la décennie 2000 moins intéressante pour cette raison-là. Et honnêtement… je peux les comprendre. Moi aussi, j’ai ressenti le manque de certains éléments caractéristiques des années 90 en découvrant les saisons qui ont suivi, en particulier au moment de cette diffusion. Donc si ces personnes n’aiment pas les années 2000 pour cette raison-là, ça reste une bonne raison pour elles de ne pas les apprécier.
En revanche, ces saisons parviennent tout de même à conserver une bonne partie des fondamentaux du format pour ne pas donner l’impression de le dénaturer (à titre personnel, là encore certains pourraient être choqués par certaines nouveautés) ; et, surtout, ça restait un format qualitatif. Certes, il paraissait peut-être légèrement aseptisé par rapport à ce qu’il a connu au départ ; mais il restait quand même professionnel, abouti, et ne donnait pas l’impression de prendre son public pour n’importe qui. Le programme conservait un certain niveau d’exigence envers ses standards.
Et pour moi, c’est ça qui fait qu’un programme réussit son évolution : le fait de conserver un certain niveau d’exigence envers ses standards.
Ca ne suffira peut-être pas forcément à être aussi fédérateur que lors de l’âge d’or du programme, mais ça montre qu’on est capable de reprendre en main une marque pré-existante tout en la respectant.
Or, pour moi, désolé, mais ce n’est pas ce que fait Fort Boyard depuis 2013 (hormis quelques éclairs de génie de temps en temps, malheureusement bien trop rares). Beaucoup de nouveautés sont introduites n’importe comment sans réfléchir à la meilleure façon de le faire, d’autres nouveautés sont tout simplement affligeantes quel que soit le contexte, la structure globale du jeu passe au second plan, la diversité des épreuves est moindre, certaines séquences méritent même parfois d’être dénoncées au CSA/Arcom tant je les trouve inappropriées pour une émission familiale…
D’où mon indignation que j’estime légitime. Si tous ces défauts avaient concerné un programme différent, qui ne prétendait pas être dans la continuité d’une base pré-existante, ça m’aurait certes agacé, mais ça aurait été plus facile pour moi d’ignorer le programme. Ici, en revanche, si je dis que je suis fan de Fort Boyard sans être plus précis, on va me demander mon avis également sur des périodes que je déprécie fortement, ou on pourrait croire que j’approuve l’évolution du programme. Ou, pire, on va m’accuser d’être un faux fan ou un fan encroûté parce que j’ai l’outrecuidance d’affirmer que les saisons récentes sont pourries (d’où cet article d’ailleurs…).
D’ailleurs, faire un programme « indépendant », c’est plus ou moins ce qu’Adventure Line Productions a fait avec Boyard Land.
Je vous le dis tout de suite : je n’ai absolument pas cherché à regarder ce programme. Etant donné que je n’aimais déjà pas du tout l’évolution de l’émission mère, et que ce spin-off semblait reprendre des idées que je n’aimais pas (personnages gaguesques, importance donnée à Rovelli…), je n’allais certainement pas me forcer ; et des échos que j’ai eus par la suite, j’ai bien fait de ne pas me forcer. Non pas que le programme était jugé pourri sur toute la ligne (enfin, surtout pour la saison 1, parce que la saison 2, en revanche, j’ai lu beaucoup moins de positif à son sujet), mais les avis que j’avais lus confirmaient que ce format n’allait clairement pas me plaire si je tirais déjà à boulets rouges sur le matériau de base.
Et pourtant, l’existence de Boyard Land ne me dérange pas et ne m’apparaît pas comme étant illégitime. Parce que cette émission appuie le fait que ce n’est pas l’émission principale, et que, de ce fait, elle peut faire ce qu’elle veut. Même si elle table de façon évidente sur le succès de l’émission mère et espère appâter le chaland en faisant miroiter du « Boyard » (ce qui n’est pas un gage de succès assuré pour autant, comme on a pu le voir avec les audiences en demi-teinte de la saison 1 et l’accident industriel de la saison 2), le fait d’avoir développé une autre marque permet d’expérimenter des idées qui n’auraient pas été compatibles avec l’émission mère.
Je vous avoue d’ailleurs que, idéalement, j’aurais adoré que ce spin-off (s’il avait connu davantage de succès) permette de concentrer les mauvaises idées de Fort Boyard, tout en assainissant l’émission mère par la même occasion. Malheureusement, ça n’aura pas été le cas (la saison 2020 de Fort Boyard ayant été la plus inepte et insultante de l’histoire du jeu, alors que Boyard Land venait d’avoir sa première saison). Mais de toute façon, je n’y croyais pas trop, je ne voyais pas la production prendre le risque de changer l’état d’esprit du programme de base, alors que c’est celui-là qui a ameuté le plus de public plus récemment.
Savoir s’arrêter quand il le faut
Mais bon, parfois, une œuvre est tellement ancrée dans sa période qu’elle a moins de raisons de continuer à perdurer. Dans ce cas, faut-il quand même chercher à la poursuivre, ou bien se dire qu’elle a fait son temps et l’arrêter ?
Bon, déjà, c’est vrai que là encore, ce n’est pas évident de pouvoir affirmer catégoriquement qu’une émission n’a plus trop sa place dans le PAF. Il y a peut-être certains cas relativement évidents, liés à l’évolution des usages.
Par exemple, Vidéo Gag était certes un format qui a marqué son époque, et qui est resté culte pour beaucoup de monde ; mais à l’heure où les bêtisiers low-cost se sont multipliés sur les chaînes TNT, et où YouTube et consorts ont pris le relais pour que les gens diffusent leurs propres contenus type bêtisier, la plus-value d’un format comme Vidéo Gag paraît moins évidente.
Idem pour la Star Academy (enfin, du moins jusqu’à ce qu’un retour ne soit annoncé en 2022) : ce qui faisait son succès à l’époque, c’était la fraîcheur du concept, la tendance des télé-réalités ; et aussi, le fait que les télé-crochets avaient encore une influence certaine sur le succès commercial de leurs participants, ce qui explique aussi pourquoi ce sont majoritairement les gagnants (et certains challengers) des premières saisons qui sont les plus connus, alors que les suivants ont été davantage oubliés et/ou n’ont pas connu une carrière aussi florissante (idem pour Nouvelle Star, Popstars et les premières saisons de The Voice d’ailleurs). Or, à une époque où la télé-réalité ne fait plus vraiment recette, et où l’industrie musicale a beaucoup évolué, notamment par le biais de ses modes de consommation… est-ce que ce programme continuerait à être tout aussi pertinent qu’à son âge d’or ?
Après, comme je dis, c’est toujours un peu difficile de jauger si un concept est devenu complètement obsolète ou non. Si ça se trouve, il y a des moyens de remettre au goût du jour Vidéo Gag et Star Academy tout en les adaptant à un contexte où les enjeux ont changé.
Et d’ailleurs, pour certains, Fort Boyard aurait dû s’arrêter il y a bien longtemps. Bon, vous allez entendre ça surtout de la part de certains fans des saisons 90 qui n’ont plus trouvé leur compte par la suite… et vu que le programme est toujours à l’antenne 20 ans plus tard, les saisons suivantes ont prouvé qu’il y avait toujours un public qui répondait présent.
Attention toutefois, je ne suis pas en train de donner raison à mes détracteurs sur le fait que la décennie 2010 est tout aussi légitime ; je dis juste qu’il y a encore un public.
Pour ma part, même si j’exècre la décennie 2010-début 2020, je n’irais pas jusqu’à dire pour autant que le concept de Fort Boyard est devenu obsolète, ou n’aurait jamais dû dépasser 2012 (la dernière saison que j’ai trouvé correcte). C’est un format qui reste relativement intemporel dans son essence, et qui, tout comme Des chiffres et des lettres (ou Top Chef, histoire de prendre un exemple plus récent), a juste besoin d’un rafraîchissement de formule en temps voulu, tout en restant fidèle à ses principes.
Toutefois, si d’aventure la production ou les diffuseurs jugeaient que le programme a fait son temps, et qu’il fallait lui mettre un terme… soit !
Alors, oui, sur le coup, j’aurais été attristé par un arrêt hypothétique de ce programme, comme j’ai eu l’occasion de l’être lors de l’arrêt de formats iconiques auxquels j’étais très attaché, comme Pyramide, Motus ou La carte aux trésors (avant le remake de 2018 du moins).
En revanche, j’aurais aussi eu le soulagement de me dire que le programme se serait terminé à peu près sur une bonne note quand même ; et ça m’aurait aidé à en garder un excellent souvenir, sans couacs notables. Même avec éventuellement une dernière saison plus faiblarde, comme l’a été la saison 2009 pour La Carte aux Trésors par exemple ; ou comme aurait pu l’être la saison 2010 pour Fort Boyard, si France 2 n’avait pas donné une nouvelle chance au programme en 2011, suite à l’échec de cette saison.
Parce que là, en revanche, c’est très difficile pour moi d’avoir ce sentiment de satisfaction quand le programme continue à exister avec une aussi mauvaise qualité…
Au passage, ce qui m’avait fait me décider à cet article, c’était le message de quelqu’un sur un certain forum ; qui, après m’avoir dit que je n’avais plus rien de nouveau à dire sur le programme, vu que je n’en disais que du négatif (ce à quoi je répondrai que je ne vois pas le rapport : si la production continue à trouver de nouveaux moyens de me surprendre négativement, avec par conséquent de nouvelles choses à redire, ça reste du nouveau contenu…) ; et, surtout, que je devais m’estimer heureux que l’émission continue malgré sa moins bonne qualité.
« M’estimer heureux » ?! « HEUREUX » ?!?!? Seigneur. Il n’aurait pas pu davantage se tromper qu’en disant ça.
Parce que, justement, ça me fait profondément mal au cœur de voir l’émission perdurer en usurpant ce qu’elle était. Un arrêt simple m’aurait donné ce sentiment de soulagement évoqué plus tôt, et m’aurait plus facilement et plus rapidement permis de faire mon deuil du programme, et passer à autre chose.
En revanche, le fait que l’émission persiste, avec une aussi mauvaise qualité et un tel manque de respect envers l’état d’esprit initial, ça m’empêche de le faire. Ca me donne l’impression qu’au lieu d’avoir pu enterrer un proche et de faire mon deuil pour pouvoir finalement me remettre de la perte, on se serait servi de son cadavre comme une marionnette pour souiller sa mémoire. A ce sujet d’ailleurs, je ne suis pas sûr que si Jacques Antoine avait encore été de ce monde, il aurait grandement approuvé ce qu’on a fait de son jeu juste après son décès…
Le fait que l’émission continue à exister sous une forme très différente et surtout beaucoup moins qualitative à un point où ça en devient insultant, ça ne m’aide pas à me remettre de quoi que ce soit. Parce que c’est malheureusement très simple de me rappeler que cette version existe. Il suffit que je sois chez des amis ou en famille un samedi soir d’été et qu’ils décident d’allumer France 2, ou même simplement que j’allume la chaîne et que je tombe sur une bande-annonce du programme, et ça m’énerve déjà…
Ca me fait mal au coeur que pour certains, Fort Boyard, c’est à présent une ambiance façon Intervilles, ou des personnages comme Rovelli et Gossbo, et qu’ils ne regardent l’émission que pour ces aspects-là. Si je suis amené à discuter avec des « fans » de l’émission, est-ce que j’aurai la certitude de parler à des gens qui sont sur la même longueur d’onde que moi ? Ce n’est clairement pas sûr.
Bref, j’adorerais pouvoir ignorer ce que l’émission est devenue. Mais c’est beaucoup plus difficile à dire qu’à faire. Même avec la meilleure volonté dont je peux faire preuve, il ne suffit pas de grand-chose pour réveiller le traumatisme.
Donc voilà. A présent, vous comprenez pourquoi l’argument « Mais il fallait que ça évolue de toute façon » n’est pas un argument recevable pour moi, quand on se contente de l’appliquer bêtement au pied de la lettre. Parce que si on va par là, on peut se permettre absolument tout et surtout n’importe quoi sous prétexte qu’il faut que quelque chose change. Et c’est tout à fait possible de faire évoluer un programme sans le dénaturer ni le rendre affligeant.