Note du 05/05/2024 : suite à l’apprentissage de l’annonce du meurtre de l’arrêt du jeu par France 3 en ce jour, j’annonce qu’une refonte de la critique du jeu sera prévue ultérieurement, incluant l’ensemble des versions du jeu, afin de lui rendre un hommage plus complet. Je laisse pour le moment cette critique comme telle ; mais elle sera remaniée en temps voulu. Merci pour votre compréhension.
Bon, je sais ce que vous allez dire : est-ce que ça valait vraiment la peine de faire une critique d’un jeu comme Des chiffres et des lettres, qui est tout de même l’un des plus connus du PAF, et même le plus ancien à être encore présent à l’antenne (… à l’heure où j’écris cette critique, du moins) ? Eh bien, oui.
Primo : pour le plaisir de parler d’un jeu que j’aime beaucoup, et pour lequel j’ai beaucoup de respect, même s’il est déjà très connu. Eh, c’est mon blog, après tout !
Secundo : je voulais rebondir sur un point qui est souvent raillé au sujet de ce jeu, à savoir son côté « vieillot ».
Et tertio : on sent que France TV cherche à s’en débarrasser d’une façon très insidieuse.
Pour appuyer mon troisième point, je vais détailler un peu l’historique de sa programmation (je reviendrai juste après sur l’historique de l’évolution du jeu lui-même).
Si on excepte Le mot le plus long (l’ancêtre de DCDL) qui était diffusé toutes les deux semaines le dimanche midi (à une époque où France 2 ne s’appelait même pas Antenne 2, mais était encore carrément la deuxième chaîne de l’ORTF), Des chiffres et des lettres (lancé sous ce nom-là en 1972) était originellement diffusé sur la seconde chaîne, à une fréquence quotidienne, et à 19h30, juste avant le journal télévisé. Sans doute la case la plus exposée que le jeu pouvait espérer, en particulier à une époque où il n’y avait encore que deux ou trois chaînes !
Mais au fil des années, cet horaire de diffusion a été de plus en plus avancé dans la grille. De 19h30, on est passé successivement à 19h, 18h55, 18h45, puis 18h40 ; et, en 1990, l’émission passe à 17h, toujours en restant sur France 2. Jusqu’en 2006, où l’émission bascule définitivement sur France 3 (avec une diffusion cette fois-ci plus tardive, à 17h35).
Quelques années plus tard (en 2009), Slam (qui était initialement un jeu de fin de matinée estival de France 2) débarque sur France 3, et vient compléter ce qui sera défini comme l’après-midi jeux de la chaîne, avec dans l’ordre de diffusion Slam, DCDL puis QPUC. Ce qui n’a pas d’impact sur la programmation de DCDL… jusqu’à l’été 2012, où Slam et DCDL échangent leurs cases. Le jeu se retrouve alors diffusé à 16h50, et perd par la même occasion sa case du samedi (car il était aussi diffusé le samedi jusque alors). Et quelques mois plus tard, c’est Harry qui vient renforcer l’après-midi jeux, en s’intercalant entre DCDL et Slam ; ce qui a pour effet d’avancer encore DCDL dans la grille, à 16h10. Situation qui perdurera jusqu’en 2022, et ce malgré la suppression de Personne n’y avait pensé (qui a remplacé Harry entre temps), qui aura juste eu pour effet de le diffuser 5 minutes plus tard…
Bref, une rétrogradation quasi-constante question mise en valeur du programme ; mais on peut néanmoins citer quelques tentatives qui ont permis d’exposer un peu plus l’émission. On a eu notamment un format dérivé en 1991-1992 (à l’époque où c’était encore sur France 2), nommé Des chiffres et des lettres – Le défi, qui était proposé le samedi à 18h40, et qui jouait avec d’anciens grands champions de l’émission (c’était Questions pour un super champion et Le grand Slam avant l’heure !) ; idée qui a été reprise en 2010 avec Des chiffres et des lettres, le championnat qui était diffusé le dimanche. Sans oublier le passage en prime-time pour les 40 ans de l’émission, qui n’aura cependant pas marché niveau audiences.
Et, oui, je suis conscient que c’est notamment ce dernier point qui reste déterminant dans la programmation du jeu. Je suis tout à fait conscient qu’en plus de 50 ans d’existence, DCDL n’a pas conservé l’intégralité de son public de l’époque, qu’il n’est plus aussi fédérateur qu’avant, et que ça serait ridicule de le programmer aujourd’hui comme il l’était en 1972, tous les jours à 19h30 sur France 2. Ne serait-ce parce que, pendant ce temps-là, on a développé pléthore de nouveaux concepts plus élaborés qui méritaient eux aussi une meilleure exposition.
Donc, oui, même si c’est dommage que le jeu ait beaucoup perdu en visibilité depuis le temps, c’est tout de même une très bonne chose qu’il continue à exister, quitte à devoir faire des compromis sur son exposition.
En revanche, je ne pardonnerai pas la décision de France 3 qui a été prise en 2022, qui a contribué à réduire l’exposition du programme encore davantage ; en plus de virer comme des malpropres Bertrand Renard et Arielle Boulin-Prat au passage (la gestion de France TV sous les mandats de Delphine Ernotte me laisse vraiment une marque particulièrement amère en ce qui concerne ce genre de décisions, qui sous-entendent que ça devient presque un délit d’être trop âgé à la TV…), alors qu’ils en étaient des incarnations historiques qui auraient mérité d’être traitées avec plus de respect.
Désormais, le jeu n’a plus droit à une diffusion quotidienne, et doit se contenter d’une programmation le week-end, le samedi et le dimanche (à un horaire certes plus tardif – 17h25 – mais ce critère n’a plus vraiment d’importance, à ce stade). Pour laisser place en semaine à Duels en famille (parce qu’apparemment, France 3 trouvait anormal que Cyril Féraud n’ait dû se contenter que d’un seul jeu quotidien depuis l’arrêt de PNYAP, et voulait corriger ça, j’imagine). Alors, je disais plus haut que, oui, il fallait bien que de nouveaux concepts puissent avoir leur chance ; mais là, ce n’est pas juste une rétrogradation dans l’horaire de diffusion, c’est carrément la fréquence de DCDL qui s’est retrouvée drastiquement réduite, alors que le concept est clairement adapté à de la quotidienne.
Et ça n’a même pas enrichi la programmation de la chaîne pour autant ; puisqu’en 2022, si la chaîne a lancé un nouveau format avec Duels en famille, elle a aussi dû en supprimer deux existants pour laisser la place à DCDL le week-end (Nous sommes tous des spécialistes et Trouvez l’intrus – bon, pour celui-là, sa suppression aura peut-être été le seul point positif dans l’histoire…). Il aura fallu attendre l’année suivante avec l’arrivée du Jeu des 1000 euros le samedi (heureusement sans remplacer DCDL ce jour-là, mais en l’avançant à nouveau dans la grille au passage – et en lui faisant avoir un horaire différent le samedi et le dimanche, donc encore une fois ça n’aide en rien DCDL niveau exposition…) pour revenir à la diversité de pré-2022 niveau concepts (mais vu que LJDME est pratiquement aussi mauvais que Trouvez l’intrus à mes yeux, on n’a pas beaucoup gagné en qualité, honnêtement…).
Bref. C’était une longue introduction ; mais je préférais être clair à ce sujet, et dire que si je peux comprendre certaines décisions qui ont été faites autour de la programmation de DCDL, je suis cependant loin de toutes les cautionner.
D’autant plus que là où je veux en venir, c’est que le jeu ne s’est pas contenté de rester le même qu’en 1972, et a connu des évolutions au fil du temps, pour le moderniser et justifier qu’il reste toujours à l’antenne.
Et si j’ai choisi de traiter en particulier la version 2016-2022, c’est parce qu’elle correspond selon moi à la version la plus aboutie et la plus méritoire du programme, qui me permet d’affirmer que : non, ce jeu ne sent pas la naphtaline, et qu’il arrive toujours à être intéressant et intemporel, même dans les années 2010-2020. Il suffisait juste d’en tirer le meilleur parti.
Voyons donc plus en détail comment cette version s’y est pris…
Le principe… ai-je besoin de le représenter ?
Tout le monde connaît le jeu sans l’avoir vu, non ? Bon, je vais faire un effort, et un rapide historique par la même occasion.
En effet, à l’origine (dans les années 60), le jeu ne jouait que sur la partie « lettres », et s’appelait Le mot le plus long. Deux candidats s’affrontaient, et disposaient alors d’un temps imparti pour trouver le mot le plus long, à partir d’un tirage de sept lettres donné (qu’ils pouvaient influencer en choisissant pour le tirage « voyelle » ou « consonne » au fur et à mesure).
Le jeu fut mis en pause pendant un temps, avant de revenir sous le nom qu’on lui connaît aujourd’hui : Des chiffres et des lettres. Cette fois-ci, le jeu s’articule autour de deux manches, jouées en alternance plusieurs fois lors de l’émission : « Le mot le plus long », qui reprend le principe de l’émission d’origine ; et « Le compte est bon », où les candidats ont à leur disposition six nombres donnés tirés au sort (parmi les nombres entre 1 et 10, 25, 50, 75 et 100) et la possibilité de les additionner/soustraire/multiplier/diviser pour parvenir à obtenir un nombre à trois chiffres donné. Par exemple, pour obtenir 383 à partir du tirage « 3, 25, 4, 8, 7, 1 », on peut faire « 25 x 3 = 75 ; 4 + 1 = 5 ; 75 x 5 = 375 ; 375 + 8 = 383 » (chaque nombre de départ ne peut être utilisé qu’une seule fois). Une fois encore, pour ces deux manches-là, un temps de réflexion est donné.
A l’époque, les candidats disposaient surtout de papier/crayon et de leur cerveau ; mais par la suite, l’émission s’est modernisée et informatisée, permettant aux candidats d’utiliser des écrans et des calculatrices intégrées. Ce qui leur simplifiait donc la tâche, puisqu’ils ne risquaient plus de faire d’erreur de calcul ou de réutiliser des lettres déjà utilisées ou non présentes dans le tirage ; mais, en contrepartie, les temps de réflexion alloués aux différentes manches ont été revus de plus en plus à la baisse.
Et hormis cette modernisation, ainsi que les changements de décors, d’habillage et d’incarnations successifs, ce principe a perduré sans grande modification notable depuis les années 70, si ce n’est que le nombre de lettres avec lequel les candidats jouaient a, à l’instar de Motus, progressivement augmenté, pour atteindre jusqu’à 10 lettres à partir de 2011.
Néanmoins, deux nouveautés un peu plus significatives en matière de dynamique ont pu apparaître depuis :
- Les Duels, apparus en 2000 : ils furent une mini-révolution à l’échelle de ce jeu, car ils font s’affronter directement les candidats à la rapidité cette fois-ci (là où pour Le compte est bon et Le mot le plus long, chacun réfléchit à tête posée de son côté pendant le temps imparti). Je détaillerai un peu plus loin les types de duels que l’émission a pu connaître (enfin… surtout ceux qui étaient encore présents dans la formule de 2016, certains ayant disparu depuis) ; mais avant 2016, ces duels n’étaient qu’au nombre de deux par émission.
- Le Sprint final, apparu en 2010 puis disparu en 2016 : joué à la fin de la partie, il consistait à faire s’opposer les candidats sur un coup de chiffres ou un coup de lettres (au choix du candidat le plus en retard) ; toutefois, celui-ci était joué de la même façon que les Duels, càd à la rapidité.
Année 2000 (2007 sur cette capture pour être plus précis) : les duels font leur apparition. Ici, il faut retrouver le titre d’une chanson française, et un nom commun répondant à la description suivante : « Tant de gens se battent pour elle ». Réponses : « Libertine » et « Liberté ».
Bon, pour juger les concepts en soi : oui, il y a un côté assez vieillot derrière, et on ressent que ça avait été imaginé au départ à une époque où les jeux TV n’avaient pas des principes aussi originaux et élaborés que de nos jours (… même si ça n’en empêche pas certains type Trouvez l’intrus de dater de la décennie 2010 tout en restant ultra simplistes).
Après tout, le concept d’anagramme, aujourd’hui, ça serait considéré comme du vu, revu et remâché ; et surtout, comme quelque chose de pas assez consistant pour baser un jeu entier là-dessus. D’où sans doute l’idée d’enrichir la mécanique avec les tirages de chiffres, qui ont l’avantage de non seulement diversifier le contenu, mais aussi de proposer un nouveau principe, cette fois-ci un peu plus créatif et beaucoup moins vu par ailleurs. Au passage, s’il est plutôt facile de citer des jeux TV qui jouent sur les lettres (on pourrait citer En toutes lettres, Un mot peut en cacher un autre, Harry, Motus…), ceux qui jouent sur les chiffres et les mathématiques de façon générale sont beaucoup plus rares (on trouve parfois des questions de calcul ça et là, mais sans que le principe même du jeu ne soit basé là-dessus) ; donc rien que le fait d’inclure des chiffres dans ce jeu lui donne une certaine patte et une certaine identité.
Et puis ces concepts ont l’avantage d’être interactifs. Pendant que les candidats réfléchissent, le spectateur réfléchit lui aussi, et ne reste pas passif devant son écran (enfin, sauf s’il en a envie) ; là où c’est parfois moins évident pour certains jeux de culture générale, où les candidats peuvent être amenés à répondre soit très rapidement (sans laisser le temps de réfléchir derrière son poste), soit prendre le temps de la réflexion (auquel cas, si on connaît déjà la réponse, on s’ennuie en attendant qu’elle soit révélée). Rien que cette interactivité a de quoi confier à ce jeu un caractère intemporel, en dépit de la simplicité de sa mécanique.
Mais le jeu ne s’est de toute façon pas reposé sur ses lauriers, puisque plusieurs nouveautés que je détaillerai ultérieurement ont été introduites par la suite.
Le compte est bon et Le mot le plus long, toujours fidèles au poste
Malgré les nouveautés, les bons vieux tirages de chiffres et de lettres sont toujours là ; et bien qu’ils occupent proportionnellement moins de place dans le jeu qu’auparavant, ils restent quand même très présents.
La première manche se constitue justement d’une alternance stricte entre Compte est bon et Mot le plus long, avec cinq tirages pour chacun d’eux.
Ce qui a l’avantage, d’une part, d’équilibrer un peu plus les chiffres et les lettres par rapport à une certaine période (bon, c’est moins le cas pour la finale et les duels, en revanche) ; et, d’autre part, d’avoir encore un nombre très raisonnable de ces manches classiques.
Le tout dans un laps de temps un peu plus restreint qu’à une époque. Souvenez-vous, il y eut un temps, l’émission entière était constituée quasi-exclusivement de tirages de chiffres et de lettres, avec seulement deux duels en plus. Ici, ils constituent seulement la moitié de l’émission, sans pour autant être trop réduits en nombre.
Bref, à durée à peu près égale, ce format parvient à montrer plus de contenu. C’est gagnant-gagnant, en somme !
Et comment le jeu s’y est-il pris ? En gagnant en rythme notamment sur ces phases-là. Par exemple, on n’a plus de ping-pong de « consonne-voyelle-consonne-voyelle » entre les candidats juste avant les tirages de lettres, mais juste un candidat qui donne le nombre de voyelles qu’il souhaite avoir dans le tirage, suivi du tirage en question qui est dévoilé rapidement.
En outre, la durée de réflexion est également un peu plus réduite pour les chiffres, passant à 40 secondes au lieu de 45. Pour les candidats, ça ne représente pas un handicap trop conséquent, étant donné qu’ils peuvent à présent recourir à l’informatique pour gérer les calculs… pour le public, c’est un peu plus embêtant.
C’est d’ailleurs le seul point que je trouve dommage : le jeu perd légèrement en interactivité en réduisant les temps de réflexion, alors que l’interactivité du concept est l’un des points forts de la formule de base. Même si on n’est pas forcément des cracks en calcul, on peut aimer réfléchir en même temps sur la façon de trouver un bon compte, et en 40 secondes seulement, c’est pas forcément évident, d’autant plus qu’on n’a pas les mêmes outils que les candidats… mais bon, d’un autre côté, j’aime bien également quand un jeu TV assume d’avoir un niveau de jeu un peu élevé et ne cherche pas à se niveler par le bas (… du moment que ça ne révèle pas non plus de graves lacunes liées à une mécanique de jeu pas au point, n’est-ce pas Motus et NOPLP ?).
Enfin, cette partie de jeu devient par conséquent la seule durant laquelle on a un temps de réflexion prédéfini, et par conséquent, 30 à 40 secondes de silence télévisé. Enfin, façon de parler, ça fait quand même depuis un long moment que des musiques accompagnent ces phases de réflexion.
Certains ont un peu tendance à s’en moquer (par exemple, Quotidien, qui aime bien comparer cette bande-son à celle d’un film érotique…) ; personnellement, j’aime bien. Ce sont des musiques qui ne sont pas désagréables à écouter (il m’arrive même parfois de les écouter en dehors de l’émission) ; et, surtout, ça permet au jeu de conserver un caractère posé de temps à autre. Ce jeu doit être à présent l’une des très rares émissions TV qui s’autorise à avoir des moments « silencieux » comme ceux-là, et ça fait du bien dans un PAF qui veut aller à 100 à l’heure. C’est sa petite spécificité, et j’aime qu’il soit resté plutôt fidèle à ce principe-là, sans pour autant paraître daté.
L’ambiance studieuse… et rythmée !
Une chose que j’apprécie avec ce jeu, c’est qu’il a tout de même su garder un certain côté sérieux et studieux au fil du temps. Bon, il se permet quand même parfois certaines légèretés (en plus de 50 ans, il a quand même eu droit à des séquences de bêtisier, ou à des poissons d’Avril un peu kitsch), mais ça reste gentillet. En termes dé désacralisation intrusive, on a connu très largement pire, en particulier dans les années 2010 (Le grand concours, QVGDM…).
Ce à quoi certains répondraient que le jeu en devient assommant… certes. Je conçois tout à fait que ce n’est pas un jeu qu’on regarde pour s’ambiancer, et que l’image « vieillotte » que certains en ont vient essentiellement de là. Ce à quoi je répondrais que certains jeux qui se voulaient ambiancés n’ont pas spécialement mieux vieilli (par exemple, L’académie des 9 n’est plus un programme particulièrement susceptible d’attirer un public plus jeune) ; et, surtout, que ce n’est qu’une question de goûts, et que si vous n’aimez pas les jeux plus sérieux, il n’y a rien de mal.
Bon, on me répondra : « Oui d’accord, mais pas à ce point-là non plus. Prends Questions pour un champion par exemple, ok c’est un jeu très académique lui aussi, nécessitant une culture assez poussée, pourtant Julien Lepers mettait de l’ambiance ! »… ce à quoi je pourrais répondre que la version de Samuel Étienne paraît moins dynamique en comparaison, mais que ça ne l’a pas empêchée de perdurer pour autant.
Bref. Je conçois que l’ambiance du jeu n’a pas de quoi faire sauter le public au plafond, mais on n’a pas non plus une coquille complètement vide pour autant. Rien que le fait de disposer de trois animateurs sur le plateau permet d’avoir de bons échanges et de la vie à l’antenne, et conférer au jeu une ambiance qui lui est propre.
Bon, le rôle d’Arielle et Bertrand aurait pu paraître un peu moins justifié qu’à une certaine époque… mais non. N’en déplaise à la direction de France TV qui a entre autres justifié leur éviction par le peu de travail qu’ils avaient à faire, ceux-ci ont parfaitement répondu en défendant leur rôle.
Ils assurent en effet la préparation préalable de l’émission, notamment avec les duels des spectateurs à vérifier, les recherches complémentaires à apporter et les illustrations ; et durant l’émission, ils informent des bons comptes et des mots les plus longs, avec recherche des définitions à l’appui.
En outre, avec Laurent Romejko, ils forment un très bon trio, qui permet d’apporter quelques interactions et un peu de vie et de convivialité sur le plateau.
Ce qui n’est pas plus mal, car même s’il n’y a pas de quoi grimper aux rideaux ni attirer un public venu de C8 ou de W9, ça vient casser un peu l’image froide que l’émission pourrait avoir.
Car je reconnais toutefois qu’au fil des années, le plateau a fini par se vider un peu, jusqu’à ne plus avoir de public ni d’interactions avec celui-ci. Alors qu’auparavant, il n’était pas rare de voir des personnes interrogées par le public, pour leur demander si elles avaient trouvé de leur côté le bon compte ou un mot plus long que celui des candidats, ce qui donnait encore davantage d’interactivité et de convivialité au format, et parfois des moments de bêtisier assez savoureux.
Alors qu’au fil du temps, on a préféré privilégier le rythme de jeu, ce qui est passé par la disparition des réactions du public, au profit des calculs détaillés par Renardeau (le logiciel qui permet de trouver le bon compte, ou le meilleur compte approchant par défaut) ou des mots directement expliqués par Bertrand et Arielle. C’est… un mal pour un bien. Après tout, je reconnais que l’un des points forts de la version 2016, c’est justement le côté davantage rythmé ; donc ce n’est pas non plus aberrant de retirer les interventions du public, même si ça fait perdre un petit peu de convivialité au passage.
Les Duels davantage mis à l’honneur
Bien que les Duels apparaissent durant les années 2000, c’est véritablement à partir de la saison 2016 qu’ils seront mis le plus en avant.
En effet, lors de leur apparition, il n’y en a que deux, joués en milieu d’émission entre quelques tirages de chiffres et de lettres. En 2011, on décide juste de n’en conserver qu’un seul au milieu de l’émission, pour mettre le second à la fin de celle-ci (juste avant le Sprint final), afin de rythmer un peu plus l’émission. On jouait alors en alternance deux duels parmi plusieurs principes prédéfinis.
Mais en 2016, on passe de deux à… cinq duels ! (ou quatre, selon les années) Ce qui va changer pas mal de choses.
Déjà, commençons par présenter le principe de ces fameux duels.
Les candidats vont jouer au buzzer. Les animateurs leur dévoilent le principe du duel, et le tirage avec lequel ils vont jouer. Une fois celui-ci dévoilé, les candidats disposent de 30 secondes pour buzzer et proposer une réponse.
Si la réponse est correcte, le candidat ayant buzzé gagne 10 points ; si elle est incorrecte, en revanche, c’est son adversaire qui gagne automatiquement 10 points. Toutefois, les candidats peuvent aussi décider de ne pas buzzer ; et si personne ne tente une réponse, personne ne gagne de points.
Comme vous le voyez, 10 points par duel, ce n’est pas rien. Donc, multiplié par cinq, ça leur redonne davantage d’importance, et de quoi potentiellement rebattre un peu les cartes.
En effet, avec seulement deux duels jusqu’en 2016, je reconnais que ceux-ci ne changeaient pas particulièrement la donne, les coups de chiffres et de lettres étant alors bien plus nombreux et aptes à donner des points aux candidats ; ce qui faisait que, même si les Duels permettaient de ponctuer davantage l’émission, ils pesaient un peu moins dans la balance (d’autant plus qu’ils valaient également moins de points).
Ici, en revanche, ils ont un intérêt accru, sans pour autant mettre au second plan les tirages classiques de chiffres et de lettres joués durant la première partie d’émission (qui restent toujours suffisamment nombreux). En outre, ils possèdent également l’avantage de rajouter de la stratégie de façon assez naturelle (en prenant le risque de répondre faux et de donner des points à l’adversaire), ainsi que du rythme avec la possibilité de buzzer. Bref, on comprend pourquoi la formule de 2016 a cherché à mettre davantage d’emphase dessus, et à les développer pour en faire une vraie partie de jeu à part entière plutôt qu’une simple ponctuation de mi-parcours.
Et parmi ces fameux duels, on a des principes relativement variés, en lien avec le thème de l’émission bien sûr. Certains d’entre eux sont apparus dès les années 2000 ; d’autres sont apparus plus tardivement.
En outre, en complément de cette liste, il me semble qu’il a existé certains duels à une époque, qui ont fini par être supprimés. J’ai souvenir d’une émission avec un duel où un mot était proposé, et où Laurent, Bertrand et Arielle proposaient chacun trois définitions différentes pour celui-ci, en demandant aux candidats laquelle de ces définitions était correcte… mais impossible de remettre la main dessus. Si ça vous dit quelque chose…
Bref, les duels proposés lors de cette formule de jeu sont :
- Le thème : avec le tirage de 10 lettres proposé, les candidats doivent trouver deux mots se rapportant à un thème donné.
- L’un dans l’autre : avec le tirage de 10 lettres proposé, les candidats doivent trouver un nom commun ainsi qu’un nom propre (c’est d’ailleurs l’une des rares fois dans le jeu où l’on joue avec des noms propres) d’après les définitions proposées, sachant que l’un des deux fera 10 lettres (et l’autre moins de 10 lettres).
- L’orthographe : un mot est prononcé oralement ; les candidats doivent l’épeler correctement.
- Le calcul mental : un calcul à résoudre mentalement est proposé aux candidats (celui-ci ne jouera évidemment que sur les opérations basiques addition/soustraction/multiplication/division, n’espérez pas voir de racines carrées ou de logarithmes dans ce jeu…), qui doivent donner le résultat.
- Le sprint chiffres : … c’est un tirage de Compte est bon classique, si ce n’est qu’il est joué en mode duel, et qu’il faudra forcément trouver le bon compte (pas de compte approchant possible).
- Le trois-en-un : une définition est affichée ainsi que les cases correspondant au mot recherché (systématiquement neuf cases pour neuf lettres), l’une d’elles étant renseignée par la lettre correspondante ; au bout de dix secondes une seconde lettre apparaît, elle aussi placée, puis une troisième au bout de vingt secondes.
- Le double-sens : comme dans La roue de la fortune, deux définitions sont affichées, correspondant à un seul mot possédant deux sens distincts, ainsi que les cases correspondant au mot recherché.
Bref, dans l’ensemble, on a un panel de duels qui jouent plutôt bien avec le thème principal de l’émission, et qui permettent de lui apporter une diversité fort appréciable.
Même si… vous l’aurez certainement remarqué en épluchant cette liste : ceux-ci ont tendance à privilégier assez largement les lettres aux chiffres. A tel point d’ailleurs que, parmi les seulement deux duels faisant la part belle au calcul, l’un d’entre eux consiste juste à proposer un Compte est bon quasiment tel quel… et même si je conçois que ça doit être plus difficile de trouver de nouvelles idées qui mettent en avant les chiffres (pas impossible cela dit, j’ai quelques petites idées à développer pour ma part), ça reste dommage.
Cela étant, il n’y a pas que ces duels qui viennent rompre l’équilibre entre chiffres et lettres, la finale de l’émission faisant pire à ce niveau-là…
Les mots de la fin : … ils sont passés où, les chiffres ?
Oui, le nom de cette finale veut tout dire : on oublie complètement les chiffres, pour se concentrer sur des tirages de lettres exclusivement. C’est dommage, d’autant plus que cette partie de jeu-là qui va déterminer le gain final ; donc un candidat naturellement plus doué en chiffres qu’en lettres ne va pas être particulièrement avantagé…
Néanmoins, je reconnais qu’en dehors de ce reproche, le format proposé pour cette finale est plutôt plaisant.
Le plateau va se vider, seuls resteront Laurent Romejko et le candidat ayant gagné la partie.
L’animateur va lancer un chronomètre de 2 minutes, durant lequel huit tirages de lettres seront proposés chacun leur tour. Pour chaque tirage, le candidat doit trouver un mot qui fait le nombre de lettres indiqué (de 7 à 10 lettres). Quand un mot est trouvé, le candidat gagne 100 €. Il peut passer un tirage si ça ne l’inspire pas ; et s’il propose un mot qui ne colle pas, le tirage est automatiquement passé. S’il reste du temps, on revient sur les tirages qui ont été passés par le candidat, afin qu’il puisse réfléchir à nouveau dessus.
Le candidat peut éventuellement disposer d’un joker, le Sésame, s’il l’a gagné au préalable ; pour l’utiliser, il lui suffit de prononcer « Sésame », ce qui lui permettra d’obtenir automatiquement l’une des réponses et gagner 100 €. Toutefois, il peut aussi ne pas l’utiliser lors de la finale et gagner 100 € supplémentaires (ce qui ne sert que s’il fait un sans-faute, bien sûr).
Je n’ai pas parlé du Sésame jusqu’à présent, car je ne voyais pas trop comment l’introduire ; je vais m’attarder un peu dessus ici.
En tout début de match, un duel de lettres ou de chiffres est joué (selon les règles des Duels, mais avec un Mot le plus long ou un Compte est bon, sachant que dans le premier cas il faudra forcément un mot de 10 lettres, et dans le second un compte exact). Si un candidat tente une réponse et qu’elle est correcte, il remporte le Sésame ; si elle est erronée, c’est son adversaire qui le remporte ; si personne ne tente de réponse, aucun Sésame n’est attribué.
C’est une bonne façon de mettre les candidats dans le bain en début d’émission, et d’ajouter un enjeu optionnel.
Et pour revenir sur cette finale, on a une phase de jeu assez tendue pour le candidat.
Déjà, l’ambiance s’assombrit un peu, on met davantage d’emphase sur le chronomètre, une musique un peu oppressante, un candidat qui doit se concentrer de façon maximale… là, c’est difficile de trouver ce format poussiéreux en voyant ces Mots de la fin. Dans un sens, c’est presque l’apogée de ce que DCDL peut proposer en matière d’ambiance, si j’ose dire !
Et il faut dire aussi qu’à ce stade, le niveau de jeu reste assez élevé, puisqu’il faut trouver très rapidement les bons mots. Deux minutes pour un maximum de huit mots, ça laisse environ 15 secondes de temps de réflexion par mot, donc les candidats ont vraiment intérêt à être bons en anagrammes. Après, il n’est pas rare non plus que certains tirages avec des mots de 7, 8 ou 9 lettres à trouver soient complétés par des lettres moins usitées, telles que des X, Y, Q etc. ce qui peut mettre la puce à l’oreille au candidat pour savoir quelles lettres privilégier.
Toujours est-il que cette finale vient conclure l’émission en jouant encore une fois différemment sur son principe de base, et qui reflète finalement bien l’évolution du format et le chemin parcouru depuis plusieurs décennies.
Total : 16/20
La version 2016 de Des chiffres et des lettres est pour moi un excellent exemple de modernisation d’un concept qui a pris de l’âge, tout en restant fidèle à ses principes et en ne se dénaturant pas pour autant (et certaines émissions devraient en prendre de la graine tousse Fort Boyard tousse).
Même si le concept n’est plus très original à l’heure actuelle, on sent quand même tout le chemin parcouru pour faire évoluer ce qui n’était qu’un simple jeu d’anagrammes à la base, en lui rajoutant de la diversité et du rythme ; et la formule de 2016 est pour moi celle qui exploite le mieux le concept dans toute la diversité dont il est capable.
Trouver cette mécanique un peu démodée ou ne pas y accrocher peut se comprendre ; toutefois, ce serait de la mauvaise foi d’affirmer que ce jeu est totalement resté dans son jus, étant donné que les évolutions de celui-ci sont perceptibles, aussi bien dans son concept initial que dans sa mise en scène.
Et d’ailleurs, pour parler rapidement de ce qu’est devenu le programme après cette fameuse mise au placard du week-end de la part de la direction de France TV… c’est la preuve que trop faire évoluer un programme ne va malheureusement pas toujours dans le bon sens.
Parmi les différentes nouveautés introduites, la pertinence de celles-ci est assez douteuse, notamment la volonté d’inclure de la « stratégie » avec le choix du thème des mots de la fin (et encore, ça a été modifié en cours de route, de sorte que ce ne soit plus possible qu’en ayant le sésame en début de jeu, qui a été lui-même revu avec un principe moins original…), de revoir la façon de compter les points obtenus lors des Duels (il n’y a aucune raison que certains duels valent plus que d’autres) ou encore d’enfumer le spectateur avec le nouveau système de « champion ». Et encore, on a failli passer à des tirages de 11 lettres, ce qui aurait commencé à faire un peu trop, même Motus n’étant pas allé jusque là. Tout ça rend le jeu plus complexe qu’autre chose, et d’une façon peu utile ; là où la formule de 2016 avait l’avantage d’être à la fois riche et lisible.
Mais franchement, je n’en veux aucunement à la production de l’émission pour ça. Même si j’aurais adoré qu’elle envoie balader la direction de France TV, s’il y a bel et bien un unique responsable de ce gâchis, ce sont les décideurs. En effet, ce sont eux qui ont cherché un énième prétexte pour accuser le format d’être vieillot, en demandant une nouvelle version coûte que coûte… alors qu’au bout d’un moment, ça devient une volonté de faire évoluer le programme juste pour le faire évoluer, sans que ça n’apporte véritablement quelque chose d’intéressant et de pertinent, à l’image de ce que N’oubliez pas les paroles avait tenté en 2011. Dans ces circonstances, vouloir rajouter des nouveautés au format de 2016 qui était déjà arrivé à maturité ne peut que l’entraîner vers la voie du pourrissement… mais c’est sans doute ce que voulait faire la direction jeuniste de France TV à ce moment-là. Quant on veut tuer son chien, on l’accuse d’avoir la rage, comme on dit…
Bon, pour la prochaine fois, on va revenir à une époque où les choix opérés par la direction de France Télévisions m’irritaient beaucoup moins…