Nous arrivons enfin au terme de notre cycle « jeux de société adaptés en jeux TV » avec le jeu que je vais traiter aujourd’hui.
L’idée de faire ce cycle m’était venue assez progressivement. Je connaissais déjà Mokshû Patamû, sur lequel j’avais prévu de faire une critique depuis un bon moment déjà ; puis, en (re)découvrant les deux versions du Trivial Pursuit, je me suis dit que ça pourrait être l’occasion d’explorer un peu plus le genre, afin de répondre à la question : « Comment adapter un jeu de société en jeu télévisé de façon pertinente ? ».
Et la première constatation que j’ai pu en faire, c’est que ce genre d’adaptation, c’était surtout un truc des années 80-90, à une époque où le genre du jeu télévisé n’était pas encore arrivé totalement à maturation, et où il puisait son inspiration où il le pouvait (le Trivial Pursuit des années 2000 étant une exception un peu anachronique, de même que quelques adaptations américaines comme Scrabble Showdown ou Trivial Pursuit America Plays). Mais, honnêtement, à la même époque, le genre du jeu de société n’était pas non plus très développé en dehors de ses grands classiques, et il aura fallu attendre encore quelques décennies avant de voir débarquer des concepts plus poussés (qui prennent parfois une demi-heure pour être mis en place et expliqués, mais je vous jure qu’ils valent le coup).
D’où ma seconde constatation : ces adaptations pouvaient parfois paraître un peu simplistes sur les bords, de par leur côté daté. C’est un peu lié à l’époque ; même si les concepts se sont progressivement affinés et qu’on pouvait déjà trouver des jeux matures durant ces décennies-là, pour moi ce sont surtout les années 2000 qui, selon moi, ont vu le genre du jeu TV être pleinement rôdé.
Bref. Pour conclure ce cycle, j’ai choisi de parler de celui qui était, à mon sens, non seulement le plus ambitieux, mais également le plus intéressant : Cluedo, diffusé sur France 3 en 1994-1995.
Cette fois-ci, exit le day-time, on passe directement au prime-time… du moins, pour ses deux premiers numéros. Oui, malheureusement, il n’a pas connu un grand succès ; et il aura fallu attendre quelques mois pour qu’il revienne à l’antenne, mais cette fois-ci en deuxième partie de soirée, et dans une version légèrement plus économique. Et les deux numéros de cette nouvelle version n’auront eux non plus pas connu de succès au point de pousser France 3 à continuer…
Toutefois, quatre épisodes, ça reste mieux que rien ; d’autant plus qu’ils étaient assez intéressants à découvrir…
Le principe
Avant toute chose, rappelons le principe du Cluedo au cas où ; même si je suis sûr que vous le connaissez, celui-ci datant de 1949.
Le but pour les joueurs est de déterminer qui, parmi les six suspects, a tué le Docteur Lenoir, dans quelle pièce du manoir, et avec quelle arme.
Dans le jeu de société, ces éléments sont déterminés en plaçant au hasard dans une enveloppe une carte « suspect », une carte « lieu » et une carte « arme » (chaque suspect, lieu et arme possédant sa carte) ; les autres cartes sont alors mélangées et réparties entre les différents joueurs. Grâce aux cartes en leur possession, les joueurs peuvent déjà éliminer une partie des suspects, lieux et armes potentiels.
Un tour se déroule en déplaçant son pion sur le plateau de jeu, représentant le manoir et ses différentes pièces, et sur lequel on se déplace en lançant un dé. Une fois dans une pièce, un joueur peut formuler une hypothèse, en supposant que le meurtre a eu lieu dans la pièce en question, et en désignant un suspect et une arme. Le joueur à sa gauche doit alors lui montrer l’une des cartes en sa possession, pour contredire l’un des éléments de son hypothèse (ou s’il ne peut pas, confier cette mission au joueur encore à sa gauche). Si son hypothèse est ainsi contredite, c’est au tour du joueur suivant.
Au bout d’un moment, lorsqu’il a suffisamment d’éléments en sa possession, un joueur peut formuler une accusation, et énoncer ce qu’il pense être le lieu, l’arme et le suspect ; puis il vérifie dans l’enveloppe si son accusation est correcte. Si c’est le cas, il remporte la partie ; si ce n’est pas le cas, il est éliminé.
En tant que jeu de société, c’est un bon principe, et même si j’ai connu depuis des jeux davantage élaborés, il tient toujours la route.
Néanmoins, ce principe n’est pas suffisant pour être adapté tel quel en tant que jeu TV : imaginez si on devait voir, en tant que spectateur, des pions se déplacer sur un plateau à coups de lancers de dé, les joueurs formuler leurs hypothèses pour être contredits régulièrement… sans compter que la durée d’une partie n’est pas forcément déterminée à l’avance (même si ça reste globalement moins long qu’un Trivial Pursuit), et que ça peut être embêtant pour un jeu destiné à une case de diffusion fixe.
Fort heureusement, Cluedo ne fait pas la même erreur grossière que le Trivial Pursuit des années 2000 en cherchant à faire quelque chose de trop fidèle, et va donc chercher à davantage remanier le concept à sa sauce, un peu dans la même idée que le Trivial Pursuit des années 80-90.
Et cette version va être davantage… consistante.
Premier détail d’importance : ce jeu était en fait une émission de prime-time, avec une durée idoine (de 1h10 à 1h30). Du moins pour les deux premiers numéros ; les deux autres ont été diffusés en deuxième partie de soirée.
Mais, surtout, elle va être décomposée en plusieurs parties : premièrement, une présentation rapide des candidats, du principe et du contexte (environ une dizaine de minutes) ; deuxièmement, un téléfilm qui va montrer les personnages en situation, pour finalement aboutir au moment où la victime est assassinée ; troisièmement, une phase d’enquête, avec les suspects présents sur le plateau, auxquels les candidats seront amenés à leur poser des questions pour trouver le lieu, l’arme puis le suspect ; et, enfin, la phase de révélation, où l’on explique qui était le suspect, où et avec quoi il a tué ; mais également son mobile.
Le téléfilm
On va donc suivre une sorte de téléfilm, qui va durer une petite demi-heure, dans lequel on nous présente les différents suspects, mais aussi la future victime, au cours de différentes scènes prenant place dans un grand gîte.
Durant celles-ci, on ne manque pas de disséminer des indices ça et là et de mettre l’emphase sur les différents éléments de jeu, notamment les armes potentielles, pour lesquelles il faut se souvenir où et quand elles ont été vues pour la dernière fois. On précise également à l’écran le nom des différentes pièces quand on les voit à l’écran, pour mieux se souvenir des lieux potentiels parmi lesquels il faudra choisir en fin de partie. Enfin, on prend soin de développer un peu les relations entre personnages, en particulier vis-à-vis de la future victime, afin d’avoir des indices quant à ce qui pourrait motiver tel ou tel personnage à commettre le meurtre.
Les différents suspects sont toujours les mêmes personnages : Mme Pervenche, gérante ; Mme Leblanc, servante et cuisinière ; Mlle Rose, réceptionniste ; le Colonel Moutarde, ancien militaire ; le Dr Olive, docteur ayant des ambitions politiques ; et le Professeur Violet, chercheur et historien. Ceux-ci sont incarnés par les mêmes comédiens à chaque épisode, respectivement Andréa Ferréol, Marie-Pierre Casey, Carole Fantony, André Pousse, Bernard Menez et David Brécourt. Par ailleurs, exit le Docteur Lenoir, et place à une victime différente par épisode, interprétée par une personnalité du petit écran (dans l’ordre de diffusion : Marie-Ange Nardi, Gérard Rinaldi, Karen Cheryl et Thierry Beccaro). Oui, on a aussi des guests à ce niveau-là… mais eux, au moins, jouent un « vrai » rôle sans doublon, contrairement à ceux qui jouent avec les candidats dans la version 1.
L’intrigue se déroule à chaque fois dans un hôtel de campagne, géré par Mme Pervenche ; toutefois, les lieux du crime potentiels peuvent varier selon l’épisode, de même que les armes.
Chaque intrigue va mettre à l’honneur un ou plusieurs personnages qui vont arriver dans l’hôtel, dont la future victime. Notons que celle-ci aura une personnalité particulièrement antipathique à chaque fois, histoire de justifier le fait qu’elle va se faire assassiner… et aussi entrer dans le collimateur de nos six suspects, pour que chacun puisse avoir un mobile potentiel. Je trouve quand même cette antipathie un peu forcée… mais je reconnais qu’il faut bien donner une raison pour laquelle les six protagonistes pourraient avoir envie de le tuer, et qu’on n’est pas dans un polar professionnel non plus.
Et à propos des personnages, j’apprécie que, sur les quatre épisodes, on garde une personnalité constante pour nos personnages : Madame Pervenche reste la gérante soucieuse de voir son hôtel fonctionner correctement ; Madame Leblanc a son côté campagnard ; Mademoiselle Rose montre que son job ne la passionne pas plus que ça, et qu’elle aimerait bien travailler dans le showbiz ; le Colonel Moutarde fait ressortir sa personnalité d’ancien militaire qui a de la bouteille et de la répartie envers ceux dont il se méfie ; le Docteur Olive affiche ses ambitions en matière de politique ; et le Professeur Violet est très impliqué dans les sujets qu’il étudie. Entre les différents épisodes, il n’y a pas de continuité scénaristique (d’ailleurs, s’il y en avait une, ce serait bizarre de voir le personnage arrêté dans l’épisode précédent revenir comme si de rien n’était…), mais la continuité psychologique reste bel et bien présente. Par ailleurs, je trouve leurs interprètes plutôt bien choisis à chaque fois, ceux-ci campant très bien leurs personnages. Peut-être de façon un peu théâtrale par moments, mais pourquoi pas.
Concernant la mise en scène, celle-ci met assez souvent l’emphase sur les lieux, les suspects (et leur relation avec la future victime), et les armes potentielles, qu’on retrouve de temps à autre afin qu’on puisse en déduire laquelle sera utilisée. Bon, la façon dont on les met en avant, en revanche, n’est pas toujours particulièrement subtile : on a parfois un léger jingle dramatique, histoire de dire au spectateur « Attention, ce détail a peut-être son importance ! », et on sent que les dialogues aiment bien mettre l’emphase sur les différentes armes potentielles, même quand elles ne font pas avancer le schmilblick, histoire de rappeler qu’elles existent.
Mais bon, rappelons qu’on est dans un jeu qui se veut interactif, donc que ce n’est pas forcément un mal de le rendre accessible pour le public, d’autant plus qu’il n’est pas composé exclusivement d’experts enquêteurs.
Pour le reste, je ne saurais pas vraiment quoi dire d’autre, car on sort un peu de ma zone de confort habituelle ; et que juger des films ou séries d’un point de vue cinéphile ou sériephile, ce n’est pas particulièrement mon rayon. Donc je ne saurais pas trop quoi développer autour de la réalisation ou de la profondeur des personnages… mais de mon point de vue, ça se suivait, et ça donnait envie de continuer le visionnage pour savoir ce qui allait se passer. Rien de spécialement excellent, mais rien de désagréable ou d’inepte non plus.
Sinon, il y a tout de même un côté un peu « daté », reprenant la façon dont on filmait les séries à l’époque (et qui n’était pas des plus dynamiques), faisant qu’on se sentait bel et bien dans les années 90 en visionnant ce jeu. Ca, plus certaines remarques ou comportements légèrement sexistes de temps en temps (par exemple, avec la personnalité du Colonel Moutarde un peu sexiste sur les bords, ou de Mademoiselle Rose qui se montre parfois aguicheuse pour arriver à ses fins) qui passeraient moins bien aujourd’hui, mais pas de quoi hurler au scandale non plus (ça reste moins pire que ce que Qui est le bluffeur ? pouvait sortir à ce niveau-là…).
Bref, ce téléfilm sera commun aux deux versions du jeu, avant de revenir sur le plateau. Pour la suite des événements, ça dépendra de la version en question…
Sur le plateau
Version 1
Cette première version était animée par Christian Morin, diffusée en prime time, et prenait place dans un manoir plutôt chic, avec une ambiance travaillée. On avait d’ailleurs plusieurs détails comme un majordome ou un temps extérieur peu clément, pour marquer cette ambiance.
Les joueurs se répartissent en deux équipes, qui seront complétées chacune par… une guest star. Pfff… ouais, vous connaissez mon avis à ce sujet depuis le temps, elles ne servent à rien (enfin, j’exagère, ils enquêtent avec les candidats… mais bon, ils n’apportent rien de spécial à la mécanique du jeu), d’autant plus dans un jeu qui ne manquait déjà pas de people (et surtout, de people qui ont un vrai rôle, eux…). Mais bon, ça ne concerne que les deux premières émissions, les deux autres laissant les candidats jouer seuls. Et puis même si certains se permettent une petite intervention humoristique de temps à autre, ça m’énerve largement moins que dans un TLMASMAD, par exemple.
La phase d’enquête va se décomposer en trois parties : une pour le lieu du crime, une pour l’arme du crime, une pour l’assassin.
Pour chaque partie, chaque équipe va piocher une carte parmi les différentes possibilités (lieu, arme, suspect), et la garder à sa discrétion : elle saura donc que ce qu’elle a pioché ne peut pas être le lieu, l’arme ou l’assassin. L’animateur pioche également une carte de son côté, qui sera révélée uniquement à l’auditoire et aux téléspectateurs, mais pas aux équipes.
Ensuite, l’interrogatoire commence : une équipe part s’isoler, puis l’autre pose des questions aux suspects, concernant le lieu, l’arme ou le suspect, selon la partie en question. Puis on inverse les équipes, de sorte que l’autre puisse poser ses questions à son tour.
On présente les armes potentielles une à une.
Oui, effectivement, les candidats ne peuvent poser que des questions en rapport avec ce qui est recherché ; donc ils ne peuvent pas poser une question sur l’arme potentielle durant la phase d’investigation sur le lieu (ils ne peuvent poser des questions que sur les différents lieux du château, par exemple demander si un personnage est passé par la bibliothèque, ou parler d’un événement passé dans une pièce). Idem pour les autres phases, quand on cherche des indices sur l’arme, on ne peut pas poser de question sur les motivations potentielles des suspects, par exemple.
C’est… vague. Techniquement, c’est assez difficile de saisir la subtilité de ce qui peut être demandé en temps voulu ou non, surtout pour des questions transverses qui peuvent concerner plusieurs éléments à la fois. Personnellement, ça ne m’aurait pas choqué qu’on pose toutes les questions d’un seul trait, sans distinguer les éléments. Parce que, parfois, on peut se retrouver avec des questions qui n’auraient pas dû être posées à ce moment-là, avec l’animateur qui doit préciser qu’on en reparlera plus tard.
Cela étant, s’il y a bien un point que j’aime bien lors de cet interrogatoire, c’est le fait que les acteurs qui campent les suspects restent totalement dans leurs personnages respectifs. Ce qui permet d’autant plus de souligner leur jeu, étant donné que sur le plateau, ils doivent les incarner en direct, en ayant connaissance de ce qu’ils peuvent dire ou non, et en devant improviser leurs réponses selon les questions posées. Et le petit décalage entre le personnage incarné et le côté « jeu TV » est plutôt amusant, avec certaines mini-performances spontanées qui peuvent faire rire. Les personnages interviennent parfois même pendant qu’un autre répond, de façon là encore très spontanée.
Indice pour le spectateur et l’équipe qui l’a pioché : la salle de jeu n’est pas le lieu du crime.
A la fin de chaque partie, le public dévoile ce qu’il pense être le lieu, l’arme ou l’assassin ; puis les équipes doivent formuler une hypothèse, comprenant les trois éléments à déterminer, tout en prenant en compte ce que le public a voté. Par exemple, pendant la phase sur le lieu, si le public pense que le meurtre a eu lieu dans la chambre, elles devront forcément proposer la chambre comme lieu du crime (elle peut proposer ce qu’elle veut pour l’arme et le suspect en revanche).
On dévoile ensuite le résultat de chaque hypothèse, en précisant combien d’éléments sont bons. On ne précise cependant pas lesquels, ce qui, pour le coup, fait un peu plus penser à du Mastermind qu’à du Cluedo, mais pourquoi pas… en revanche, je ne suis pas très fan de l’idée d’imposer l’un des éléments par le public. Même si j’apprécie qu’on rende le jeu interactif, je trouverais plus pertinent que les candidats mènent leur enquête de bout en bout, sans ce genre d’interférence extérieure.
Après formulation de l’hypothèse, on dévoile le nombre d’indices que l’équipe a de corrects. Pas de chance pour elle, elle n’en a aucun…
De temps à autre, un indice est dévoilé, sous la forme d’une « scène coupée », de sorte que les équipes puissent en déduire… ce qu’elles en ont à déduire.
A la fin de l’interrogatoire, les suspects font tour à tour un mini-discours pour présenter leur lien avec la victime, et se défendre pour dire qu’ils ne l’ont évidemment pas tuée.
Puis tout le monde, public comme équipes, font une proposition définitive sur le lieu, l’arme et le meurtrier.
Avant qu’elles ne soient dévoilées, la victime ressuscitée apparaît sur le plateau, et dévoile qui l’a tuée. L’assassin passe alors aux aveux, on lui met les menottes, et on révèle les propositions des candidats et du public. Ah, et avant ça, le guest qui a fait la victime fait un peu sa promo… boarf.
Mmh… en termes de jeu TV, je ne me suis pas senti aussi impliqué dans le déroulement de la partie que je ne le suis habituellement, en dépit du côté interactif prôné par le programme : peut-être que ça tient au fait que je ne suis pas un très bon enquêteur, ou que ce genre de jeu de démasquage n’est pas trop ma tasse de thé ; mais je n’ai pas été très convaincu par la façon de parvenir à ses fins en déterminant le lieu, l’arme du crime et l’assassin, qui m’a semblé un petit peu hasardeuse.
Un aspect qui est légèrement présent dans le jeu de société… mais celui-ci pousse tout de même à investiguer le plus possible, pour être sûr que l’hypoothèse définitive soit la bonne. Là où le nombre d’essais est un peu plus limité ici.
Et, effectivement, l’idée est plutôt que les candidats et le public se basent sur le téléfilm, pour se focaliser sur les détails de mise en scène. Ce qui est louable, et qui justifie d’ailleurs totalement la présence du téléfilm et des interrogatoires.
C’est juste que… je trouve qu’il manque peut-être un petit trait d’union entre les deux. En fait, le côté « jeu de société » sert finalement surtout d’indices pour compléter l’investigation, plutôt que l’inverse. Une approche intéressante, mais peut-être un peu déconcertante pour moi. Mais comme je le disais, c’est probablement parce que je ne suis pas forcément un très bon enquêteur.
En tant que spectateur, j’y trouve mon compte cela dit.
En parlant de spectateur, le jeu insiste beaucoup sur son interactivité, et met à disposition des éléments pour que l’on puisse jouer de chez soi.
(Bon, évidemment, n’essayez plus de les contacter, vu que ce jeu date d’il y a 20 ans…)
Version 2
Le programme ayant fonctionné en demi-teinte, il réapparaîtra quand même pour deux autres numéros ; mais cette fois-ci en deuxième partie de soirée (ça ne fonctionnera d’ailleurs pas mieux, puisque le programme n’aura pas de suite après ça), et avec une formule un peu revisitée, présentée par Marie-Ange Nardi (ce qui fait d’ailleurs un rappel assez amusant à la première émission, où elle jouait le rôle de la victime).
Côté décor, le manoir reste à peu près le même dans l’ensemble, si ce n’est que les bancs type tribunal où les suspects s’installaient disparaissent, au profit d’un coin salon plus cosy où ils se feront interroger.
Côté ambiance, en revanche, c’est moins solennel et un peu plus détendu. Les effets visuels et sonores sont moins présents, le majordome disparaît de même que la voix-off, Marie-Ange Nardi a un ton plus détendu que Christian Morin et dialogue davantage avec les candidats… et on a un nouveau personnage un peu plus fantasque sur lequel je reviendrai.
En outre, il n’y a plus d’équipes, seulement deux candidats en solo qui s’affrontent (donc bye bye les people, et ça ce n’est pas plus mal). Ceux-ci semblent d’ailleurs castés exprès selon leur profession ou leurs hobbies, un peu plus en lien avec le fait d’enquêter.
Les candidats se trouvent à présent là où se trouvait le banc des accusés.
Pour commencer, les candidats peuvent choisir un dossier concernant l’un des suspects, puis s’isoler dans une pièce voisine. Dans ce dossier va se trouver un triplé suspect-arme-lieu (qui sera révélé au spectateur et au candidat, mais pas à son adversaire), ainsi qu’une indication sur le nombre d’indices qui sont justes (sans dévoiler lesquels, bien évidemment). Notons toutefois que même si les candidats choisissent le même dossier, les indices donnés seront différents (et le nombre d’indices potentiellement justes aussi), à l’exception du suspect qui reste commun. Sans doute afin que le spectateur puisse avoir davantage d’interactivité.
L’animatrice propose au candidat de choisir un dossier.
(euh, oui, l’un des candidats a fait un cosplay de Sherlock Holmes. Pourquoi pas.)
Ensuite, on a toujours les interrogatoires avec les personnages, divisés en trois parties, portant respectivement sur les suspects, puis sur les lieux, puis sur les armes. Ceux-ci ont lieu à chaque fois après que les candidats ont pu consulter un dossier. Mais cette fois-ci, ils ne sont pas menés par les candidats. C’est un nouveau personnage, le commissaire, qui va le faire à leur place.
Je suis légèrement mitigé sur cette évolution-là. D’un côté, ça réduit l’interactivité avec les candidats, qui deviennent de simples observateurs sur cette partie-là, là où ils étaient davantage proactifs dans la première version ; même si, en contrepartie, ils ont accès à un peu plus d’informations avec les dossiers (j’y reviendrai). En outre, ces séquences deviennent davantage « théâtrales » et scriptées, étant donné que les personnages suspects interagissent avec un autre personnage. Par ailleurs, je ne suis pas très fan de la personnalité du commissaire, qui a tendance à surjouer un peu et à avoir des tics de langage assez énervants… même si je ne peux pas nier qu’on a tout de même cherché à lui donner sa petite personnalité, comme pour les autres.
D’un autre côté, ça permet d’avoir des questions clairement établies sur les suspects, les lieux et les armes, là où dans la première version les candidats pouvaient poser des questions légèrement hors sujet sans le faire exprès. En outre, ça permet aussi aux acteurs d’avoir moins besoin d’improviser, j’imagine.
De toute façon, le fait que les candidats mènent l’interrogatoire n’était pas spécialement indispensable, l’important étant qu’il soit mené et que les candidats puissent en tirer des conclusions. Car, oui, malgré les phases d’ouvertures de dossiers qui mettent davantage l’emphase sur le côté « Mastermind du crime », certains détails de mise en scène révélés pendant l’interrogatoire peuvent avoir leur importance pour déterminer le coupable, le lieu ou l’arme du crime…
Cette fois-ci, dans le dossier, on trouve une hypothèse toute faite, avec le nombre d’indices corrects. Le candidat doit alors en déduire ce qu’il a à en déduire…
Les candidats peuvent ensuite faire une proposition sur le triplé gagnant… mais une proposition écrite, qui ne sera pas dévoilée tout de suite.
On répète ensuite le processus dossier/interrogatoire/proposition, pour le lieu du crime, puis l’arme du crime.
Une fois toutes ces procédures finies, on dévoile le vote du public ; puis, de la même manière que dans la première version, la victime apparaît sur le plateau, afin de dévoiler qui est l’assassin, qui passera aux aveux (et dévoilera le lieu et l’arme par la même occasion).
On finit par lire les propositions des candidats ; et celui qui a fait la déduction la plus proche de la vérité l’emporte (en cas d’égalité, on se basera sur les propositions précédentes).
Ambiance un peu plus détendue, avec les suspects installés dans un coin salon plutôt que sur le banc des accusés.
En revanche, je me serais bien passé de la personnalité un peu agaçante de l’inspecteur…
Dans l’ensemble, je suis un peu plus convaincu par cette seconde version. Aussi bien en termes de mécanique « pure », qu’en termes d’adaptation du matériau de base.
En effet, si dans la première, j’avais du mal à résoudre le mystère à cause de la partie « Mastermind » un peu trop légère, je peux davantage compter dessus dans cette seconde. Et puis bon, au final, Cluedo en tant que jeu de société a pour intérêt principal de formuler des hypothèses, et d’en déduire quels éléments du jeu ne sont pas en cause, de sorte qu’on en déduise ceux qu’il fallait trouver par élimination. Le fait de mettre davantage l’emphase là-dessus, sans pour autant reléguer totalement au second plan l’interrogatoire, est pour moi une bonne idée.
Ce qui fait qu’en fin de compte, cette seconde version me semble être une adaptation plus pertinente du jeu de société, et finalement le meilleur parti qu’on pouvait en tirer.
Total : 14/20
Adapter le Cluedo en jeu TV était sans doute l’un des choix les plus originaux et les plus ambitieux qu’on pouvait faire pour porter un jeu de société à l’écran ; et cette adaptation réussit à peu près bien à le faire, tout en se trouvant une identité propre.
Le côté hybride entre « polar » et jeu TV est plutôt bien géré et plaisant à regarder. Les téléfilms se suivent bien, les acteurs jouent plutôt bien leurs personnages (et ça avait même un côté amusant de les voir continuer à jouer ce rôle sur le plateau), et on a envie de connaître le fin mot de l’histoire. Bon, certes, même sans être aficionado du genre, je suis sûr qu’on peut trouver des œuvres plus convaincantes et plus poussées, que ce soit en termes de scénario ou de mise en scène ; mais cette émission ne prétend pas être dans la lignée des films d’Alfred Hitchcock non plus, donc ça convient très bien pour ce qu’on a cherché à en faire. Quant au côté « jeu/enquête interactive », celui-ci est plutôt prenant également, même s’il aura fallu attendre selon moi la seconde version pour que le concept soit davantage au point… certes au détriment de l’ambiance, qui devient plus détendue (voire légèrement agaçante) en contrepartie.
Bref, tout cela fait de ce Cluedo un jeu TV bien singulier, mais qui vaut très clairement le coup d’œil selon moi.
Et c’est donc avec, ce qui était selon moi l’adaptation la plus intéressante et la plus ambitieuse, que l’on termine (enfin !) ce bloc consacré aux jeux de société portés à l’écran. Bon, n’ayant pas la science infuse sur le sujet, j’ai dû très certainement en oublier quelques-uns, que ce soit volontairement ou non. Si je découvre ultérieurement un concept qui m’intéresse et qui aurait pu correspondre à cette thématique, tant pis, je le traiterai séparément en temps voulu.
Sinon, parmi les concepts que je n’ai volontairement pas traités, je peux notamment vous citer Dessinez, c’est gagné !, qu’on peut voir comme une adaptation du Pictionary (même si je ne saurais pas dire à quel point c’était censé en être une), et sur lequel je pense que je n’aurais écrit en tout et pour tout que cinq ou six lignes, tant je n’ai vraiment pas grand-chose à développer dessus ; et sans doute d’autres dont je n’ai pas (encore) eu connaissance.
Mais je pense que l’échantillon que j’ai traité est suffisamment représentatif des différentes manières de s’y prendre pour procéder à ce genre d’adaptations, qu’elles soient bonnes ou mauvaises. Bon, en termes de mauvais exemple, on a surtout le Trivial Pursuit des années 2000 ; en termes d’exemple plus ambitieux, on a donc Cluedo (et Mokshû Patamû dans une certaine mesure) ; les autres exemples se situant entre les deux, mais en restant tout à fait corrects et représentatifs de la façon la plus courante d’adapter un jeu de société.
Après, dans les deux cas, si toutes ces émissions adaptaient des grands classiques du jeu de société, celles-ci n’avaient cependant pas de quoi devenir de grands classiques en soi.
Sans doute est-ce dû aux codes entre jeux de société et jeux TV qui sont un peu trop différents, au fait que la notoriété des jeux de société est déjà tellement forte qu’elle éclipse celle des jeux TV, ou que les modifications nécessaires au nouveau format n’ont pas toujours de quoi tenir ni susciter l’intérêt sur une longue durée… mais ça reste toujours intéressant de voir la façon dont les producteurs peuvent s’y prendre quand ils se prêtent à cet exercice.
On ne va cependant pas quitter le créneau du prime-time la prochaine fois, avec un format dont je devrais pouvoir parler tout aussi positivement… ou pas. Ca dépend malheureusement de la période dont on parle…