Si vous avez lu certaines de mes critiques, vous savez que j’ai généralement une légère préférence pour les jeux ayant un concept complexe et une mécanique riche, comme Pyramide, Only Connect ou Fort Boyard (du moins, quand on le confie à des producteurs compétents, autrement c’est le drame). Et qu’à l’inverse, je suis moins friand des jeux trop simplistes, comme… allez, prenons-en un au hasard, Trouvez l’intrus (si, si, je vous jure que je l’ai cité au hasard – et que je n’ai pas croisé mes doigts derrière mon dos en disant ça). A moins qu’à l’instar d’un 100% questions, ils parviennent à faire de leur simplisme une qualité, en la tournant à leur avantage.
Et c’est justement le cas du jeu que je vais traiter aujourd’hui, qui m’a clairement fait reconsidérer tous les a priori que je pouvais avoir au sujet de ce genre d’émission.
Aut Pisces, Aut Nihil, donc, est une petite pépite très méconnue de notre PAF, dans la mesure où aucun diffuseur n’y a prêté d’attention. Je ne sais pas, peut-être est-ce ce titre en latin qui lui a donné une image un peu trop prétentieuse, surtout pour une chaîne comme TF1 (ce qui ne l’a cependant pas empêchée d’avoir un jeu nommé Mokshû Patamû dont pas grand-monde n’a dû comprendre la référence donnée par le titre, mais bon…) ou pour un groupe comme France Télévisions, du moins à une époque où on placardise volontiers des concepts de qualité comme Des chiffres et des lettres. Mais personnellement, à défaut de prétention, j’y vois surtout de l’audace, dans la mesure où ce titre indique tout de suite la couleur quant à ce qu’il cherche à proposer.
Aussi, ne commettons pas l’erreur de juger un livre à sa couverture, et penchons-nous donc plutôt sur ce qui rend ce jeu aussi… spécial.
Ah, et avant de commencer, je précise que comme ce jeu fait partie de ceux dont il est devenu impossible de trouver un épisode sur Internet ; je fais donc entièrement appel à ma mémoire pour cette critique. Je n’ai toutefois pas de montages de compensation à vous proposer comme pour Carbone 14 ou LGDN, car ils seraient assez contre-productifs.
La mécanique
Je l’insinuais en introduction : Aut Pisces, Aut Nihil a un concept très simple. Et même encore plus simple qu’un 100% questions, qui se focalisait sur le plus pur aspect des standards des jeux TV, à savoir un enchaînement de questions de culture générale.
En fait, ici, le concept est encore davantage accessible au grand public, puisqu’il ne leur demandera aucun effort de compréhension. Absolument aucun. N’importe qui peut comprendre tout de suite de quoi il en retourne. Et pour cause : il n’y a aucune règle. Donc comme on n’a pas de règle, on n’a pas besoin d’y réfléchir davantage.
Alors, vu comme ça, on pourrait y voir de la paresse intellectuelle de la part de la production. Après tout, j’ai déjà copieusement fustigé Trouvez l’intrus à ce sujet pour avoir pondu un concept qui n’avait pas dû leur demander plus d’une demi-journée de réflexion.
Mais ici… c’est beaucoup plus subtil qu’il n’y paraît. En fait, la production a fait le pari osé de laisser aux spectateurs la possibilité d’imaginer les règles comme bon leur semble. Et c’est beaucoup plus stimulant qu’il n’y paraît, on se prête volontiers à cet exercice.
Et puis ça reste une idée vraiment inédite, après tout. Cette émission ne se contente pas de prendre un principe tellement remâché depuis la création des jeux TV qu’on peut maintenant le boire à la paille, là elle a vraiment inventé quelque chose.
Les candidats, parlons-en.
Ou plutôt… n’en parlons pas. Oui, en plus de partir sur un concept totalement novateur, cette émission a eu également l’audace d’être le premier jeu TV à se jouer sans candidats. Le principal acteur de cette émission, c’est nous, nous et rien d’autre que notre cerveau et notre capacité à forger notre image de l’émission. Et à qui de mieux peut-on s’identifier qu’à nous-mêmes ? Je vous le demande !
C’est d’ailleurs là que je me dis que ce n’est pas plus mal que TF1 n’ait pas voulu de ce concept, je suis sûr qu’elle aurait fait du forcing pour y mettre des candidats trop exubérants et pas particulièrement cultivés.
Ah, et inutile de le préciser, mais étant donné que le concept de Aut Pisces, Aut Nihil est naturellement incompatible avec un système de champion, il n’y a donc pas de risque de voir un candidat squatter l’antenne pendant plusieurs semaines, et encore moins de se voir favorisé par un système de jeu lui donnant plus d’avantages que nécessaire. N’est-ce pas, TLMVPSP ?
Et cette très intéressante mécanique se voit sublimée par un enrobage qui frise lui aussi l’excellence.
L’enrobage visuel et sonore
Premier point qui dénote par rapport à ce dont on a l’habitude : l’absence totale d’animateur. Et non, on n’a même pas une voix-off à la 100% Questions, là il n’y a vraiment personne. Les zéro candidats se gèrent eux-mêmes.
Bon, je subodore que c’est parce que la production cherchait à faire des économies (les temps sont durs pour les diffuseurs, vous savez, donc si elle veut vendre son concept le moins cher possible)… mais finalement, ça reste une très bonne idée.
Après tout, sans animateur pour incarner le programme, l’émission ne prend pas le risque de choisir quelqu’un qui aurait été jugé clivant, insupportable, ou représenté à outrance sur les chaînes du groupe. Donc aucune crainte d’y voir débarquer un Cyril Féraud qu’on voit déjà trois fois par jour, par exemple. Je trouve même que des concepts comme QLMG auraient dû en prendre de la graine, ça me les aurait considérablement fait revoir à la hausse.
Et qui dit pas d’animateur, dit pas de risque potentiel de voir le rythme de l’émission être sabordé par des interventions intrusives. Et je vous rassure, on n’a pas non plus de people pour assurer ce rôle-là.
En fait, le rythme est particulièrement bien géré, et totalement en adéquation avec la durée du programme.
En particulier, le diffuseur de Aut Pisces, Aut Nihil n’a pas fait la grossière erreur de catapulter son concept directement en prime time, comme l’ont fait TF1 avec The Wheel, France 2 avec 100% logique ou M6 avec 60 secondes chrono. De ce fait, on n’a pas l’impression de voir un programme étiré inutilement au point de rendre son visionnage ennuyeux.
Au contraire, vu sa durée inconséquente, le rythme de ce jeu est particulièrement fluide. C’est bien simple, ça passe et ça s’enchaîne tellement vite qu’on n’a pas du tout le temps de s’ennuyer, et on profite de l’absence totale de chichis et de tralala pour savourer la mécanique comme il se doit.
Concernant le plateau de jeu, celui-ci est particulièrement épuré, en harmonie avec l’idée recherchée par le concept. Pas de public, pas d’éléments disgracieux, rien d’autre qu’un fond vert qui laisse libre cours à l’imagination de ce qu’on peut y afficher.
Et l’habillage visuel suit également cette idée, en étant tout simplement inexistant. Ce qui a l’avantage de ne pas surcharger inutilement l’écran du spectateur, et de le laisser profiter d’une image la plus pure et la moins retouchée possible. En outre, en n’existant pas, l’habillage visuel ne peut être laid, on ne peut pas le nier !
Et au niveau de la bande-son, là non plus je n’ai rien à redire. J’aime tout particulièrement le fait que ce jeu se soit permis de mettre à l’honneur autant de silences télévisés, dans un PAF qui n’aime pourtant pas trop ça.
Surtout que là, je parle de vrais silences télévisés, pas de musiques d’attente zen à la DCDL pendant que les candidats réfléchissent. Le silence pur est d’ailleurs on ne peut plus zen, c’est dommage qu’il soit devenu aussi peu exploité à la télévision ! Ne dit-on d’ailleurs pas qu’il n’y a pas plus belle musique que le silence ?
Total : 20/20
Aut Pisces, Aut Nihil est un jeu TV que je pourrais qualifier de parfait. Je ne vois sincèrement pas comment un autre jeu pourrait faire encore mieux, compte tenu de toutes ses qualités impliquées par son absence de défauts.
Pour moi, c’est vraiment la référence qu’un bon jeu TV se doit d’être, et je ne saurais que trop vous le conseiller.
D’ailleurs, moi qui m’en voulais de ne pas avoir pu illustrer la critique, j’ai un lien spécialement pour vous, mis en ligne par un internaute charitable, avec le pilote de cette émission : c’est par ici !
Allez, assez rêvé comme ça. La prochaine fois, on va traiter un jeu qui flirte moins avec la perfection… mais qui a quand même l’avantage d’exister réellement.
Bloup bloup.